Le “mental fitness” : une aide précieuse pour les négociateurs
par Parole de Médiateurs · 2 juin 2024
Dans son livre L’éloge du carburateur, le philosophe Matthew B. Crawford recommande (pour être performant) de posséder un savoir “universel” (des théories, des techniques), mais aussi et surtout un savoir “tacite” (des connaissances intuitives et souvent indicibles basées sur l’expérience).
Il en va de même en négociation. Il est important de maîtriser les techniques et les outils, mais la différence résidera dans votre capacité à anticiper les réactions de l’autre, à comprendre ce qui se joue et à gérer vos émotions. Un négociateur expérimenté sentira intuitivement si le silence de son interlocuteur est signe de rupture imminente ou si, au contraire, il s’ouvre à l’idée d’accepter la dernière proposition mise sur la table.
Pour développer cette compétence, une méthode existe, fondée sur la prise de conscience du fait que notre cerveau peut jouer pour ou contre nous. Il ne s’agit pas de le préparer pour les prochaines olympiades du QI (quotient intellectuel), mais de nous entraîner à développer notre QE (quotient émotionnel) afin de mieux comprendre et gérer nos émotions, notre QS (quotient de sociabilité) pour construire des relations saines et durables, et notre QA (quotient d’adversité) pour mieux réagir face aux situations d’échec. Ainsi, les techniques de mental fitness visent à éviter les pièges de la perception et de l’interprétation pour optimiser la puissance de nos pensées, augmenter notre motivation, réduire notre stress et ainsi gagner en performance…
Les pièges de la perception
En négociation comme dans la vie de tous les jours, nous sommes confrontés à ce que nous voyons et nous interprétons ces situations (“Mon interlocuteur ne répond pas, il fronce les sourcils, il me reçoit en retard…”).
Or, nous nous sommes tous déjà heurtés aux pièges tendus par notre cerveau qui perçoit (illusions d’optique, effets trompe l’œil) et nous savons également que nos filtres personnels (éducation, expérience, sexe, croyances, culture…) impactent notre interprétation des événements. Nos yeux et nos oreilles ne sont ni des caméras ni des microphones, ils reçoivent des informations que notre cerveau essaye de faire correspondre avec ce que l’on croit savoir ou ce que l’on voudrait.
À ce stade, il s’agit simplement de s’exercer à prendre du recul par rapport aux faits observés, de se poser des questions sur nos certitudes, de s’autoriser le doute pour tenter de ne pas tirer de conclusions trop hâtives.
Les biais de l’interprétation
Nous considérons souvent le sens que nous appliquons aux choses comme étant la vérité, oubliant que notre perception est faussée et que la façon dont nous percevons les choses (bonnes ou mauvaises) influence nos actions, nos comportements et nos décisions. Or, nos interprétations des situations dépendent essentiellement de trois facteurs :
• du contexte : sommes-nous anxieux ? Avons-nous bien dormi ? Avons-nous faim, froid, chaud, etc. ?
• du contenu : cette négociation recèle-t-elle un enjeu particulier ? L’interlocuteur nous impressionne-t-il, etc. ?
• de l’expérience : avons-nous vécu une situation similaire ? Positive ou traumatisante, etc. ?
Afin de ne pas tomber dans le piège des interprétations, il importe de se rappeler que nous ne pouvons pas influer sur les événements ni changer les faits. En revanche, nous avons le choix de la réponse à y apporter. Pour cela, nous pouvons procéder en trois étapes.
• Faire une pause pour analyser le contexte : se demander comment on se sent et si cela peut influer sur notre humeur (“Je suis fatigué, je risque de perdre patience…”).
• Se questionner pour identifier clairement le contenu : s’interroger sur ce qui pourrait modifier ma perception de la situation (“Je n’aime pas cet interlocuteur, je risque de surinterpréter ses résistances ou ses refus…”).
• Identifier les autres sources d’influence liées à nos expériences (“Me suis-je déjà trouvé dans cette configuration de négociation ? Cela impacte-t-il mon jugement ?”).
Le pouvoir de la pensée
Nous émettons en moyenne 80 000 pensées par jour. Et 75 % d’entre elles sont négatives, notre cerveau donnant priorité aux risques et désagréments sur les plaisirs et satisfactions depuis la nuit des temps pour nous protéger des menaces et des dangers.
Nous avons donc, en “arrière-plan”, tel un ordinateur qui “mouline”, un travail de pensée qui influence nos comportements et nos décisions. Les sciences neurologiques ont ainsi identifié de nombreux pièges de la pensée liés à cette recherche de sécurité par un “biais de négativité…
• Lire dans les pensées : imaginer ce que l’autre pense et envisager le pire.
• Catastropher : exagérer les conséquences possibles d’un événement.
• Filtrer : ne voir que l’aspect négatif des faits.
• Personnaliser : penser que tout ce qui est dit et fait s’adresse directement et négativement à nous.
Il est néanmoins possible d’agir sur nos pensées pour libérer notre potentiel d’action. La méthode la plus simple consiste à redescendre de “l’échelle d’emballement” nous conduisant à imaginer le pire. Par exemple, on part de “Il fait la moue”, on passe par “La négociation ne se fera pas” et on termine par “Je vais perdre mon emploi”. Pour cela, il suffit d’observer les faits qui nous alarment et de les interpréter plus positivement en commençant sa phrase par “Et si, tout simplement…”
Le stress et la performance
Tous ces biais cognitifs, pièges de la perception, surinterprétations négatives peuvent engendrer du stress, qui impactera notre lucidité pendant une négociation. Le stress étant une alerte destinée à mettre en action, il ne faut pas tenter de l’éliminer, mais plutôt de travailler sur ses effets. Pour cela, quelques méthodes pour garder le contrôle :
• prendre du recul : s’assurer d’un état raisonnable de bien-être professionnel (“Ai-je du plaisir dans ce que je fais ?”, “Mes objectifs et mes actions sont-elles en adéquation avec mes valeurs ?”, “Ai-je la perspective d’un avenir plaisant ?”)
• le flow : trouver l’équilibre entre les niveaux de challenge et de compétences. Trop de travail ou de challenge par rapport à ses compétences mène au burn out, mais insuffisamment de défis ou une sous-occupation des compétences conduit au bore out.
• la “matrice de contrôle/influence” : distinguer les situations où l’on doit agir de celles où l’on doit lâcher prise. Si j’ai le pouvoir de décider, je dois agir, éliminer le problème, changer les choses ou déléguer la tâche. Dans le cas contraire, je dois accepter la situation et être capable de lâcher prise.
Et bien sûr, toutes les techniques de gestion du stress : respirer, méditer, compter, évoquer des situations positives.
Enfin, pour gagner encore en performance, il faut être capable de rester concentré, même sous pression. Pour cela, le mental fitness propose des outils pour maintenir la motivation et gagner en productivité.
Vous l’aurez compris, le mental fitness n’est pas une thérapie visant à traiter des dysfonctionnements ou des souffrances mentales, mais de simples exercices pour gagner en lucidité, garder le contrôle sur nos émotions et améliorer nos performances.
Et s’il était besoin d’une ultime preuve de l’importance de travailler son mental et d’y investir du temps pour réussir ses négociations, il suffit de penser à la puissance de l’esprit sur les armes. Car comme le disait Napoléon Bonaparte : “Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit : à la longue, le sabre est toujours vaincu par l’esprit.”
Éric de COZAR
Éric de Cozar est médiateur et formateur en négociation.
Vous devez être connecté pour poster un commentaire.