Du chacun pour soi au chacun pour tous

Le 25 janvier 2023, une proposition de loi visant à reconnaître les métiers de la médiation sociale a été déposée à l’Assemblée nationale.

Nous avons rencontré le député de la 9e circonscription de l’Hérault, Patrick Vignal, auteur du rapport Remettre de l’humain dans les territoires, qui vise à développer la médiation sociale en France. Il nous raconte comment son aventure a commencé et dans quelle direction il compte désormais aller.

Inter∞médiés : en octobre 2021, le Premier ministre, Jean Castex, vous a demandé d’étudier la mise en place des dispositifs de médiation sociale. Pourquoi vous a-t-il choisi ?

Patrick Vignal : j’ai souvent eu à jouer un rôle de médiateur dans le cadre de mon engagement politique. Lorsque j’étais maire-adjoint, délégué à la démocratie participative et à la cohésion sociale de Montpellier, j’ai par exemple mis en place le Printemps de la démocratie. Nous nous rendions dans les quartiers de la ville pour y installer des tentes, dialoguer avec les habitants, et surtout leur donner la parole. Puis, j’ai été très touché par l’histoire d’une femme, Martine Garofalo, une retraitée de 75 ans de Rochefort-du-Gard, dont le logement était squatté par un locataire qui refusait de payer le loyer. Je me suis rendu sur place et j’ai proposé à Martine de jouer le médiateur entre elle et le squatteur. C’était un jeune abîmé par la vie, qui ne demandait qu’à être écouté. En dialoguant, j’ai gagné sa confiance et nous avons réussi à trouver un accord. Quelques semaines plus tard, il a quitté les lieux volontairement et Martine a accepté de ne pas réclamer les loyers impayés. Je l’ai ensuite accompagné pour qu’il retrouve un lieu pour vivre et sa dignité, tandis que les habitants du coin ont aidé Martine à remettre en état son logement.
Suite à la médiatisation de cette affaire, j’ai été interpellé par Laurent Giraud, le directeur général de France Médiation, qui m’a proposé de me présenter le métier des médiateurs sociaux professionnels. J’ai alors décidé de demander au Premier ministre, Jean Castex, de me confier la mission de dresser un état des lieux exhaustif de la médiation sociale en France et de dégager des pistes pour continuer à la développer, ce qu’il a accepté.

Six mois plus tard, vous avez rendu votre rapport. Comment avez-vous procédé pour établir ce bilan et élaborer des propositions ?
Il s’agit avant tout d’un travail de terrain ! Je me suis déplacé aux quatre coins de la France pour rencontrer les médiateurs, les associations et les élus locaux d’une quinzaine de villes. C’était important pour moi de les associer étroitement à cette mission, pour éviter une erreur trop courante : examiner les sujets depuis Paris sur la seule base de chiffres et de tableurs Excel. J’ai rencontré plus de 500 personnes, qui ont pu partager avec moi leurs expériences et les freins auxquels ils font face. En parallèle, j’ai également mené des auditions plus formelles, en interrogeant notamment les ministres et les administrations concernés, les réseaux de médiateurs et les associations d’élus locaux. Cela m’a permis de rédiger un rapport complet et détaillé qui formulait dix-huit propositions, déclinées à travers quatre axes, pour développer la médiation sociale : professionnaliser, financer, évaluer et favoriser la coopération. L’objectif à long terme est le déploiement de plus de 7 000 médiateurs sociaux sur l’ensemble du territoire, dont plus de 1 000 en milieu scolaire. Mais la première étape indispensable était la reconnaissance de la médiation sociale à travers le cadre législatif. C’est pour cela que j’ai rédigé ma proposition de loi.

Votre proposition de loi concernant la médiation sociale a été présentée à l’Assemblée nationale le 25 janvier 2023. Où en est ce dossier aujourd’hui et quelles sont vos ambitions pour la suite ?
Les choses avancent bien. Après avoir réalisé ma mission, j’ai tenu à associer les médiateurs à la rédaction de cette loi que j’ai présentée en avant-première devant 250 d’entre eux à l’Assemblée nationale le 25 janvier 2023. Je l’ai amendée sur la base de leurs retours, puis envoyée à mes collègues députés pour leur proposer de s’y associer. Nous avons réussi à mobiliser assez largement, puisque nous en sommes déjà à plus de 150 députés cosignataires issus de tous les groupes politiques, hors Rassemblement national. C’est la preuve que lorsque nous travaillons sur le terrain en amont, nous pouvons construire des lois consensuelles car concrètes. Pour connaître les réponses, il faut vivre les questions. C’est la démarche qui m’anime en tant que parlementaire.
J’ai également reçu des marques de soutien de la part du président de la République, de la Première ministre et du gouvernement. La loi sera débattue dans les mois à venir et, j’en suis certain, adoptée à l’unanimité !

Avez-vous des partenaires dans le domaine de la médiation sociale qui vous soutiennent ou qui sont associés à ce projet ? De quoi auriez-vous besoin sur le terrain ?
J’ai pu compter sur le soutien sans faille de tous les médiateurs que j’ai eu l’occasion de rencontrer, dont France Médiation, le réseau PIMMS et tant d’autres. Plusieurs élus locaux soutiennent ma démarche, dont Pierre Hurmic, maire de Bordeaux. Plus nous aurons de relais sur le terrain qui se saisissent de la proposition de loi et la présentent à leurs parlementaires, députés et sénateurs, plus vite nous parviendrons à la faire adopter. Cette loi est la vôtre, emparez-vous-en et faites-la vivre !

Les récentes émeutes ont montré à quel point notre société est en déroute. Quel regard portez-vous sur ces événements ? La médiation sociale sera-t-elle “le” remède ou juste un parmi tant d’autres ?
Vous savez, il n’y a pas de solution unique et simple. Ceux qui essaient de le faire croire mentent aux Français et portent aussi une responsabilité dans l’effritement de la citoyenneté ayant abouti aux événements qui ont secoué la France cet été. Gérard Collomb avait bien résumé la situation lorsqu’il disait : “Aujourd’hui, on vit côte à côte. Je crains que demain, on vive face à face.”
Nous devons réfléchir à comment reprendre le pouvoir, reconstruire durablement les liens entre les Français. Une société apaisée repose sur un équilibre du triptyque éducation-prévention-répression. La médiation sociale aura un rôle à jouer dans cette reconstruction, parce qu’il n’y a qu’en réhumanisant massivement les rapports du quotidien que nous arriverons à sortir du chacun pour soi ou sauve qui peut. C’est pour cela que j’ai intitulé mon rapport Remettre de l’humain dans les territoires !

Propos recueillis par Christel Schirmer

Christel Schirmer est médiateure assermentée près la cour d’appel de Montpellier, formatrice en gestion de conflits au CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale) et interlocutrice en affaires franco-allemandes.

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