Petits secrets de médiateurs

Quatre médiateurs, quatre visions de la médiation et un seul but : restaurer le dialogue entre les parties en conflit. Philippe Mandon, Abraham Zeini, Philippe Lemoult et Agnès Mendes Pires  se confient sur leur pratique et leur vision de la médiation.

Philippe Mandon

Médiateur judiciaire et conventionnel depuis douze ans, Philippe Mandon est agréé par le CMAP. Il est également formateur et chef d’entreprise. Les champs commerciaux et sociaux sont son terrain de prédilection en matière de médiation et de négociation.

Une technique “poil à gratter”

Officiellement, je suis devenu médiateur en 2007. Avant j’étais un praticien de la médiation sans le savoir. À la fin de ma formation au CMAP (Centre de médiation et d’arbitrage de Paris), j’ai compris que la posture de médiateur m’était familière depuis bien longtemps, que j’utilisais les outils de la médiation sans le savoir. Ma pratique est devenue consciente.

Chaque affaire qui m’est confiée est l’occasion d’un engagement total pour soutenir, aider et accompagner les parties à trouver la meilleure solution possible. C’est parfois la moins mauvaise. Grâce à mes acquis expérimentaux, ce que j’espère être une bonne utilisation de l’écoute et du questionnement, je tente de débuter chaque processus de médiation sans analyse, a priori ni préjugé. C’est parfois une gageure. J’arrive ainsi à me libérer du stress de celui qui veut aller vite, solutionner à tout prix ou éradiquer l’injustice.

Avant chaque réunion de médiation, je me libère du poids émotionnel qui pourrait être lié à mon quotidien, pour mieux accueillir les parties et leurs conseils. Cela me permet d’être entièrement à leur service. Car tel est l’engagement de tout médiateur : “Être au service”.

Mon objectif premier est de comprendre ce qui se dit et le déroulement des faits. Mais surtout d’identifier ce qui n’est pas rapporté. Je suis à l’affut des phrases, des mots, des non-dits, regards et gestes. Tel le chasseur, j’écoute, je reçois, j’enregistre : plaintes, doléances, critiques, agressions verbales, doutes, regrets, désespoirs, peurs parfois. Ce qui m’importe, c’est de remonter à l’origine du conflit, d’en comprendre les raisons. Je cherche à en définir les causes réelles et profondes, la part immergée de l’iceberg. Trop souvent, ce qui est visible n’est qu’une couche “artificielle”, ajoutant des effets et conséquences supplémentaires.
Tel le curieux, j’interroge, j’écoute, je doute, je tente de faire clarifier, je comprends, je reformule, je manque de précisions, je questionne encore, je doute à nouveau, je comprends peut-être. Parfois trop vite. Retour en arrière. Nouvelles interrogations, etc.

Sortir des sentiers battus

Ce va-et-vient est l’essence même de la pratique. Je suis à tout moment capable de revenir aux bases du processus de médiation mais si j’en éprouve le besoin, il m’arrive de quitter les sentiers battus, car ils sont clairsemés de vérités impossibles à dire ou de stratégies cachées. Certaines lignes droites sont gauches.

Sur un sentier parallèle, je questionne librement, directement, fermement ; ce que j’appelle la technique “poil à gratter”. Il est parfois nécessaire de faire tomber certains murs qui ne protègent plus personne. Alors, pour encourager le dernier effort, le dernier mot, la prochaine phrase, il ne faut pas hésiter à oser “gratter”, dès lors que les parties vous y autorisent.

Mon engagement est avant tout d’être au service de « Sa Majesté les parties”. J’assume de trouver sans cesse la bonne méthode, le bon chemin, le meilleur moyen pour parvenir à livrer un service efficace. Car à ce qui ressemble à l’impossible, le médiateur pourrait bien parfois être tenu…

Philippe Mandon

Abraham Zeini

Avocat honoraire, Abraham Zeini a commencé la médiation en 1998 et n’a jamais arrêté depuis. Il est, avec Stephen Bensimon et Dominique de la Galenterie, à l’origine de la création de l’Ifomene.

« Humilité, connaissance de soi et courage »

J’ai été happé par la médiation. Passionné depuis l’enfance par tout ce qui touche au rapprochement entre les personnes, j’ai toujours été attiré par la relation à autrui. Le théâtre, dès l’âge de 15 ans, m’a mis en contact avec les gens et avec les personnages.

La médiation est un mode de vie, une discipline, un état d’être différent, bien qu’il soit très difficile d’être perpétuellement dans la congruence. Quant à l’écoute, ce n’est pas seulement de l’empathie, c‘est un véritable don de soi. Bien souvent, les gens n’écoutent que ce qu’ils veulent écouter, ce qui les intéresse. Écouter quelqu’un, c’est être totalement avec lui, avec ses problèmes, ses difficultés, ses faiblesses, ses souffrances. C’est une connexion complète.

Climat de confiance

En médiation, pour instaurer un climat de confiance, il faut apprendre à connaître les personnes, ce qui est difficile puisqu’elles “sortent de nulle part”. D’où l’importance des entretiens séparés qui servent le plus souvent à préparer le terrain. Les médiés ne peuvent se livrer que lorsque la confiance s’est instaurée avec le médiateur. Il faut les amener à verbaliser leur violence, leurs souffrances, afin de ramener à la surface de leur conscience tout ce qui a été refoulé et surmonter toutes les résistances mises en place. C’est un gros travail pour le médiateur. Il doit définir tout ce qui empêche la libération de la parole. Les gens ont peur d’exprimer leurs émotions et surtout d’identifier leurs besoins, qui sont le plus souvent la sécurité, l’identité et la réalisation. Tant que leur besoin de sécurité ne sera pas comblé, rien ne pourra se faire. Ils ont peur d’être eux-mêmes, ce qui les amène à jouer un rôle et à manquer de naturel.

Pour être efficace, le médiateur doit en permanence changer son regard sur lui-même. Il doit accepter tout ce qui se passe pendant les entretiens et se donner de l’auto-empathie le plus souvent possible. Sans cela, il risque de mélanger ses propres valeurs et celles des médiés, et l’impartialité en prend un coup. Les qualités premières du médiateur sont l’humilité, la connaissance de soi et le courage.

Je me synchronise avec les gestes, le regard des parties et j’utilise beaucoup la respiration et le silence. Il permet aux médiés de se reconnecter et de retrouver un regard intérieur. Mon travail consiste à faire en sorte que les gens aillent à l’intérieur d’eux-mêmes, puis vers l’extérieur, là où se trouvent les solutions. C’est grâce à la confiance établie en début de médiation qu’ils osent aller à l’intérieur d’eux-mêmes. C’est ainsi qu’ils peuvent avoir accès à leurs émotions les plus enfouies et les laisser sortir. Cependant, les silences peuvent être gênants, il ne faut pas qu’ils soient trop longs et ils doivent signifier quelque chose, permettre aux médiés de réfléchir. Il faut que ce soit un silence “plein”, car c’est là que se trouve l’émotion.

Le regard est d’une grande importance, mais sans fixer personne, et dans la bienveillance. Je m’intéresse beaucoup aux yeux, à ce qu’il se passe sur le visage et tout ce qui se trouve derrière. J’essaye d’anticiper les souhaits et les désirs des médiés, avec une très grande prudence. La co-médiation est en cela intéressante, elle permet de bien utiliser le regard. Lorsqu’un des médiateurs reformule, l’autre regarde les médiés, et aide ainsi son collègue dans la synchronisation non-verbale.

Je fais appel à l’intelligence émotionnelle. Il faut percevoir et exprimer les émotions des gens, être en résonance avec et en même temps les réguler. Les gens acceptent d’entrer dans les émotions de l’autre à partir du moment où leurs propres besoins sont reconnus et qu’ils se sentent en sécurité.

Une vibration permanente

La médiation est un échange ininterrompu  entre donner et recevoir. C’est une vibration permanente très fatigante pour le médiateur. Il lui faut beaucoup d’énergie : intérieure, émotionnelle, empathique. La veille d’une médiation, je me prépare en visualisant la séance à venir. J’ai une très bonne hygiène de vie. Je pratique régulièrement la méditation, le yoga et la respiration. Il faut avoir une certaine force intérieure pour mener à bien les entretiens. Un médiateur n’a pas besoin de réfléchir. Il doit être prêt. Ensuite les choses se mettent en place d’elles-mêmes grâce à l’énergie du médiateur, il n’y a rien d’autre à faire que de suivre le courant.

Je respecte beaucoup les médiés et j’essaye de leur inculquer le lâcher-prise. Le médiateur lui-même doit en passer par là pour être en empathie avec eux. Mais ce mot ne signifie pas ne rien faire ou se désintéresser. Bien au contraire. Garder son sang-froid permet aux médiés de se dévoiler. Ce qu’ils ne peuvent faire que s’ils sont libres et dans un état intérieur de lâcher-prise. Beaucoup d’étudiants n’arrivent pas à recadrer les médiés, à revenir sur ce qui est essentiel pour eux parce qu’ils sont dans leur petit monde et partent sur leur idée à eux. Ils voient une solution et ne la lâchent pas.

Le médiateur doit surtout sentir ce qu’il se passe et moins penser, il doit renoncer à son fonctionnement de base. Pour cela, il est important qu’il apprenne à mieux se connaître. Pour moi, la médiation est un véritable engagement et un magnifique terrain d’observation.

Propos recueillis par Marion Delisse

Philippe Lemoult

Philippe Lemoult est vice-président, fondateur de Médiation-NET.

“La médiation n’est pas à la portée de tous”

Juriste de formation, j’exerce la médiation depuis plus de quinze ans à l’issue d’une trajectoire diversifiée : Crédit Lyonnais, Schlumberger, CFE-CGC, journaliste, APEC, équipes d’action contre le proxénétisme, Université Paris 13, Solidarités International …

Je me suis engagé dans l’aventure à la lecture d’une analyse publiée en 1996 par Yves Chamussy, un pionnier de la médiation d’entreprise. Ce dernier décrit les nouveaux modes de relations dans l’entreprise qui modifient le rapport des salariés avec leur travail et nécessitent de fait un nouveau schéma   de management social.

Après mon diplôme universitaire en médiation (DUM) de l’Université du Luxembourg, je me suis spécialisé en polémologie [science de la guerre, ndlr] et en gestion de projet avant d’intervenir et d’échanger sur la médiation d’entreprise dans des formations, colloques et symposiums.

Ma pratique de la médiation s’est enrichie avec le temps, notamment en :

• approfondissant les points forts d’un médiateur lors des différentes étapes du processus de médiation ;

• concevant les entretiens individuels préalables comme les accélérateurs de confiance et de compréhension privilégiés ;

• dynamisant l’équipe de projet ajustée regroupant les parties et conseils pour construire le protocole d’accord. Cette culture projet a permis par exemple d’organiser 43 parties en conflit avec la création d’un dispositif de médiation personnalisé, aussi bien que de dépasser la complexité d’un conflit datant de plus de 50 ans, en l’adaptant à un nouveau contexte intergénérationnel. Cette “culture projet” m’est très utile pour structurer efficacement les médiations ;

• actualisant et entretenant mon expertise en conflictualité des organisations par l’échange des pratiques, la supervision, mon approfondissement de la co-médiation et ma participation active aux expérimentations de médiation en entreprise, animées par le président du groupe Médiation-NET, Eric Charlemagne.

D’expérience, je suis convaincu que la médiation n’est pas à la portée de tous. Sélective, elle peut surmonter la complexité d’un conflit dès lors que l’intelligence humaine et une créativité pragmatique sont au rendez-vous. Pour cela, j’initie une dynamique de “supplément d’âme” qui entraîne l’ensemble des acteurs concernés autour de la création du projet/protocole à finaliser ensemble.
Les trois fondamentaux du processus de médiation sont  à mon sens :   la confiance, la confidentialité et le non-conformisme de la mise en œuvre. D’où l’importance de ne pas la rendre obligatoire, tout particulièrement dans le monde de l’entreprise dont les acteurs volontaires en connaissent l’efficience.

Spécialiste des organisations avec le groupe Médiation-NET, j’inscris stratégiquement ma démarche dans le respect de la norme ISO 26000, non-certifiable, relative à la responsabilité sociétale des organisations en matière de développement durable.

Mon grand plaisir reste de ressentir la satisfaction des parties concernées, gain en autonomie et responsabilité, lors de la signature de leur protocole d’accord.

Propos recueillis par Christel Schirmer

Agnès Mendes Pires

Agnès Mendes Pires est chargée de mission Rectorat de Paris, médiateure et formatrice CMFM, membre d’un cercle de soutien et de responsabilisation SPIP Versailles (Service pénitentiaire d’insertion et de probation).

« Une respiration, un lien avec l’humanité »

J’ai rencontré la médiation en 2013, lors d’un cancer qui m’a permis de redécouvrir les vertus  de la respiration. Quand j’étais seule dans mon lit en soins intensifs, cette respiration faisait lien avec les humains et l’univers. Ce lien est vite devenu une nécessité absolue de ma nouvelle vie, conquise sur la mort.

Fin 2014, je me suis inscrite au CMFM pour suivre le cursus de Colette Morichard, Laure Galvez et Jacqueline Morineau. Très vite, la médiation s’est imposée dans ma vie professionnelle, malgré des turbulences  traversées ensuite. Il m’est rapidement apparu que la médiation humaniste devait être proposée dans les établissements scolaires. Non seulement comme outil de gestion de conflit mais bien plus comme éducation, langage de notre humanité, cheminement au service de la paix de tous au sein de l’établissement, parents compris. Des démarches ont été entreprises au Rectorat de Paris pour que la médiation humaniste soit reconnue et proposée aux établissements scolaires parisiens. Parallèlement, j’ai entamé un cursus de formatrice sous la houlette de Colette Morichard puis,  après son départ,  avec Jacqueline Morineau et Guy Escalettes.

Recréer du lien grâce à la médiation, transmettre cette possibilité d’un autre regard sur moi, sur l’autre, sur la Vie dans un contexte sociétal extrêmement perturbé, tout cela me semblait une urgence absolue pour aller vers une société plus humaine et pacifique. Il s’agissait cependant bien moins de “recettes” ou “d’outils” en kit  que d’un long travail à effectuer sur moi, puis avec les autres. Sentir en moi les résistances, jugements et protections en tout genre, cette muraille dont la hauteur diminue petit à petit jusqu’à ce qu’émerge le lâcher-prise. L’accueil et l’empathie génèrent chez moi la joie profonde d’être à ma place au service des autres et du lien nécessaire à la paix sociale. La médiation est alors moins le temps de la rencontre qu’une posture intérieure, à laquelle il convient de porter une attention de tous les instants pour que ce temps de rencontre se pérennise et devienne le temps d’un Être responsable relié aux autres et à l’univers.

Loin de la boîte à outils, il me semble fondamental de porter toute son attention à l’accueil des médiants. En entretien préalable, ils arrivent (en pénal, sur proposition du procureur) dans une tension palpable. Ils sont très souvent dans une incompréhension de la procédure mais dans l’urgence de partager leur souffrance. Un accueil chaleureux et respectueux, un cadre sécurisant posé par le médiateur offriront la confiance nécessaire au médiant pour qu’il accepte de partager l’histoire à l’origine de sa souffrance. Il ne s’agit pas là de commencer la médiation, mais de permettre au médiant d’être entendu et reconnu dans sa souffrance. Alors seulement, il pourra entrer dans un processus de compréhension qui guidera sa décision quant à l’acceptation ou non de la rencontre.

La rencontre de médiation est une rencontre d’humanité sous toutes ses formes. Un médiateur d’abord en médiation permanente avec lui-même offre aux médiants une écoute profonde et un cœur ouvert, sans jugement. Une respiration consciente constitue également une aide importante pour garder l’ouverture et mettre à distance les émotions qui peuvent légitimement étreindre les médiateurs pendant les médiations. La posture physique du médiateur s’avère tout aussi importante, car elle participe de la communication non-verbale à laquelle les médiants sont sensibles. Ancré, serein, avenant, chaleureux, accueillant sont autant de qualificatifs précieux pour le médiateur.

S’il est vrai que la médiation suit un processus, la rencontre ne peut se faire que d’être à être. Le médiateur sait qu’il ne peut conduire les médiants à se rencontrer vraiment qu’en leur offrant son être, libéré aussi de son rôle de médiateur. Il les guide ainsi à se défaire de leurs rôles dans l’histoire qui les amène pour rencontrer leur être profond. C’est ainsi qu’il peut contribuer à redonner aux médiants la liberté qui leur permettra de se reconnaître dans leur humanité et de s’engager, s’ils le souhaitent, sur un nouveau chemin de vie.

Accompagner des personnes sur ce chemin de vie qu’est la médiation humaniste – lorsqu’elle ne se limite pas à de la résolution de conflits ou de la négociation dans la consommation – représente une formidable espérance en une transformation possible en chacun de nous et en l’éclosion et le partage de notre humanité pour le bien de tous. Les médiateurs et formateurs humanistes sont, humblement, ces accompagnateurs.

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