EXPERTISE ET MEDIATION SONT-ELLES COMPATIBLES ?

Le 4 octobre 2022 à Dieppe, le Centre de Justice Amiable de Dieppe et le Centre de Médiation du Barreau de ROUEN dispensaient une formation sur le thème de « l’expertise en médiation ». Cette formation, qui pouvait être suivie à distance, s’inscrivait dans la 4ème édition d’OMJA « Octobre, Mois de la Justice Amiable », coorganisée par les centres de médiation des Barreaux Normands.

Sandrine DARTIX, Avocate et médiatrice à Rouen, a animé la matinée aux côtés de Catherine KERSUAL, d’Éric BAUDEU, président du CMBR et de Marie-Paule VOISIN-DAMBRY, du CJA de Dieppe.

Deux problématiques ont été posées :

  • Le médiateur doit-il bien connaître le domaine auquel s’apparente le conflit, être lui-même expert ?
  • Y-a-t-il une place pour l’expertise technique dans le processus de médiation pour favoriser l’entente ?

Pour répondre à ces questions, étaient invités deux experts inscrits auprès de la Cour d’appel de Rouen, Ludovic HAUGUEL, expert immobilier, et Franck HIBON, expert en construction et également médiateur. La participation de Claire LAVOUÉ, magistrate au tribunal judiciaire de Dieppe et spécialement chargée de la médiation au sein de cette juridiction et Mr DIAKITÉ, juriste-assistant, a permis de confronter les pratiques et de mettre en lumière la souplesse et la rapidité du processus de médiation.

LE MÉDIATEUR DOIT-IL BIEN CONNAÎTRE LE DOMAINE AUQUEL S’APPERENTE LE CONFLIT, ETRE LUI-MÊME UN EXPERT ?

Pourquoi le médiateur devrait-il, sans être un expert du domaine, avoir une certaine pratique, voire une certaine culture spécifique au conflit ?  La réponse est que les prescripteurs de la médiation, dont les magistrats et avocats auront plus confiance dans un médiateur connaissant bien la matière. Et chacun sait que la confiance est une condition nécessaire, même si elle n’est pas suffisante, à la bonne conduite et à la réussite du processus de médiation.

Il y a cependant des divergences de vue : certains estiment que la spécificité du médiateur n’est pas la bonne connaissance des techniques et des lois mais uniquement la bonne conduite du processus de reprise de dialogue entre les parties pour qu’elles-mêmes résolvent leur conflit au mieux de leurs besoins et intérêts. Pour cela il n’est nul besoin d’avoir une bonne connaissance du domaine auquel s’apparente le conflit. Ce serait même un handicap d’en savoir trop car l’on risque d’utiliser ses connaissances pour induire des solutions qui n’émergeront pas du débat des médiés eux-mêmes.

Les avis ont été partagés durant l’atelier : si les avocats et les parties semblent rassurés lorsque les médiateurs choisis ou désignés connaissent le domaine juridique ou technique sur lequel porte le litige, les médiateurs présents à l’atelier estiment au contraire que, médiation n’étant pas conciliation, il n’est nul besoin d’être « du sérail » pour mener à bien une médiation, puisque le médiateur ne doit jamais donner son avis. D’ailleurs il est parfois utile de ne rien connaître pour poser des questions que les professionnels du domaine ne se posent plus par routine : cela permet de réactiver la créativité, source de solutions inédites parfois mais conformes aux besoins des parties. Un professionnel va toujours emprunter les mêmes circuits neuronaux, les mêmes schémas de réflexion pour proposer des solutions qui ont fait leur preuve, mais qui ne sont pas forcément adaptées aux besoins spécifiques des médiés. A l’inverse, un médiateur « non initié » posera des questions très simples et basiques obligeant les médiés à se réinterroger sur des positions qu’ils pensaient acquises.

Finalement la question est difficile à trancher car la thèse, rigoureuse dans ses principes, qui consiste à affirmer que le médiateur peut intervenir dans tous les domaines ne tient pas compte de l’importance de la confiance que tous, prescripteurs de médiation comme parties eux-mêmes doivent avoir dans le médiateur qu’ils choisissent.

Pour conclure sur cette question, les personnes en conflit sont libres du choix du médiateur. L’essentiel est que, s’ils choisissent un médiateur « sachant » celui-ci ne doit surtout pas faire état de ses connaissances si celles-ci sont plus favorables à une partie plutôt qu’à une autre. Même s’il connaît les réponses techniques, il doit se garder de les donner. Cependant ses connaissances pourront sans doute servir l’avancement de la médiation lorsqu’il pourra répondre à une question totalement neutre qui ne pèse en rien sur la solution à trouver mais qui peut répondre à certaines interrogations que tous se posent. Il pourra aussi éclairer l’un ou l’autre des médiés, sur leurs chances et leurs risques en cas d’échec de la médiation ; dans ce cas, il devra toujours rester extrêmement prudent dans ses propos.

Franck HIBON, expert en construction et formé à la médiation intervient comme « médiateur sachant » en comédiation avec un médiateur plus « généraliste « . Cela ressemble quand même plus à de la conciliation puisque l’un des deux médiateurs est « aviseur ».

Ainsi le débat reste ouvert et les avis divergent encore mais tous s’accordent sur deux constats :

Le premier : Dans certains litiges juridiquement complexes, il est essentiel que les médiés soient assistés d’avocats maîtrisant les problématiques juridiques car c’est à eux que revient le rôle d’en présenter l’aspect juridique. C’est ainsi que chaque médié se confrontera à la réalité du dossier et modifiera sa vision des choses, souvent moins optimiste que celle qu’il avait avant d’entrer en médiation. Les avocats, lorsqu’ils savent accompagner de façon efficace leurs clients sont donc des facilitateurs de solution. Les avocats ne doivent ni « plaider » ni rester en permanence en retrait. Ils doivent donc se former à l’accompagnement à la médiation. C’est un autre savoir-faire que celui du procès.

Le second : Dans certains cas, il n’est pas possible de poursuivre un processus de médiation sans recevoir l’avis d’un expert comme développé ci-après.

Y-A-T-IL UNE PLACE POUR L’EXPERTISE TECHNIQUE DANS LE PROCESSUS DE MÉDIATION POUR FAVORISER L’ENTENTE ?

Nous avions fait le choix d’inviter un expert en construction formé à la médiation et d’un expert en évaluation de biens immobiliers. La raison en était qu’aussi bien en matière de construction (désordres ou vices de construction…) qu’en matière de litige relatifs au partage de biens (successions, liquidation de régimes matrimoniaux…) on ne peut sortir d’un conflit qu’après avoir clarifié un problème de pure technique, même si le problème de fond est ailleurs, dans le vécu des personnes en conflit.

Lorsque le médiateur propose, ou que les parties demandent, une vérification des points techniques à la base du conflit, un expert peut être désigné d’un commun accord. C’est déjà un accord et un début de coopération qui favorise la médiation.

Comme ce n’est pas le juge qui fixe la consignation, le coût est négocié avec l’expert. On n’insistera jamais assez sur la maîtrise des coûts que procure la médiation.

Pour Ludovic HAUGUEL, rompu à l’évaluation des biens eu des indemnités d’éviction en matière de baux commerciaux, le recours au Juge fait perdre beaucoup de temps et une solution amiable, sur la base de l’expertise, devrait être la règle.

Franck HIBON évoque sa manière d’intervenir en cours de médiation, non pas cette fois comme comédiateur mais à la demande d’un médiateur qui a reçu l’accord des parties sur le nom de l’expert et sur le coût. Il demande que tous les documents et photos lui soient envoyés, il ne se déplace pas et une visio-conférence est organisée avec le médiateur, les médiés et lui-même. Un échange intervient, il pose les questions qui lui semblent utiles puis il le donne oralement. Contrairement aux exigences d’une expertise judiciaire qui nécessite des dires, des réponses aux dires, ce qui génère un coût élevé et des délais importants, une telle expertise coûte dix fois moins cher et peut être mise en place et terminée en quelques semaines ou quelques jours pour les cas les plus simples. Dans la foulée de l’avis rendu, sans désemparer, le médiateur poursuit le processus et les parties trouvent presque toujours un accord.

Les médiateurs qui œuvrent en matière de succession ou de liquidation de régimes matrimoniaux ou d’indivision ont confirmé que le recours à des évaluations en cours de médiation augmentait de façon considérable les chances d’aboutir, après expertise, à une entente.

En conclusion de la matinée, les participants se sont accordés sur le constat que l’expertise fait partie des outils de la médiation et qu’il ne faut pas hésiter à y recourir ; la demande doit émaner des parties mais aussi elle peut être proposée par le médiateur et constitue le point de départ d’une collaboration négociée.

Par Catherine KERSUAL et Marie-Paule VOISIN-DAMBRY

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