Synergologie, un outil pratique de régulation de l’échange en médiation
par Parole de Médiateurs · 25 février 2022
Arnaud Nouqué, spécialiste en communication et synergologie nous éclaire sur cette discipline qui met l’accent sur le non verbal et son apport en médiation. Médiateur, consultant, communiquant, facilitateur, cet article va vous plaire…
La synergologie est une discipline développée par Philippe Turchet au début des années 90 « visant à comprendre l’humain à travers son langage corporel ».
Même si elle est parfois utilisée et enseignée par les professionnels de justice dans des tribunaux nord-américains, sa viabilité scientifique fait régulièrement grand débat.
La plus épineuse difficulté méthodologique que pose la synergologie est la vérification du décodage lui-même.
Comme en ethnologie ou en physique subatomique, l’observateur n’est jamais « neutre » et le fait de mesurer (ou observer) change inévitablement les résultats.
De plus, le contexte culturel où s’opère l’échange et d’où sont originaires les protagonistes est également primordial et implique de très nombreux paramètres.
L’exercice périlleux et passionnant que Turchet a mené dans son langage universel du corps fut de définir une myriade de comportements de signification invariante sur l’ensemble de notre espèce humaine.
Pour appréhender la portée pratique de la discipline, voici quelques données techniques, un exemple de situation de lecture « live », les 5 niveaux de communication appréhendés par la discipline et la présentation de quelques exemples de régulation que nous pouvons utiliser en situation de médiation.
Éléments techniques : quelques chiffres
1) La vitesse de propagation de l’influx nerveux dépend du niveau de myélinisation* du schème neuronal (*isolation électrique du gainage entourant le neurone).
Plus un comportement est renforcé par l’habitude, plus le gainage est important et plus rapide est le message.
Un message nerveux ou émotionnel se diffuse à la vitesse de 100 mètres par seconde, soit entre 25 et 125 fois plus rapidement que le traitement conscient d’une information :
Un observateur perçoit les réactions émotionnelles de son interlocuteur avant ce dernier.
2) Selon les travaux de l’équipe de J. Dispenza, un adulte conscientise en moyenne 2000 bit* d’information par seconde, soit approximativement 60 mots. (*le bit est l’unité de mesure du « poids » d’information traité en informatique),
Le nombre de bits traités par notre esprit inconscient par seconde serait de 400.000.000.000 : nous n’appréhendons en conscience qu’un pourcentage minime de ce qui compose notre quotidien.
Un exemple plus que 1000 mots :
Le coordonnateur d’un réseau professionnel péruvien que nous soutenons est de passage pour la nuit à notre domicile.
Nous le connaissons peu. Il semble fatigué par son voyage mais également agité. Il reste rivé à son téléphone et prête à peine attention aux réponses que nous donnons à ses questions.
Malgré moi, je commence à interpréter ce comportement comme de la condescendance et décide de clarifier la situation sans plus attendre :
A « Avez-vous déjà entendu parler de la synergologie ? »
Z « Mmm non, c’est quoi ? ».
A « Le décodage du langage corporel ».
Z « Mmm ah oui, je ne crois pas trop à ces trucs-là. Ça ne me semble pas très fiable ».
A « M’autorisez-vous à vous donner une petite démonstration ? Peut-être, ce que je peux percevoir de vous maintenant ? ».
Z « Voyons !!? » (Curieux)
A « Ce qui me semble pertinent avec cette discipline est le fait de considérer, comme en psychanalyse, que les mouvements du corps sont des expressions de l’esprit. Une forme de langage en somme ».
Z « Mmm ».
A « Dans cette grille de lecture, chaque partie du corps représente une valeur symbolique. Chaque doigt de chaque main et chaque geste également ».
Z « Mmm ».
A « J’ai vu par exemple que vous grattiez le ventre, à gauche de votre nombril il y a quelques secondes ».
Z « Oui, peut-être, et ? ».
A « Une façon de lire ce geste pourrait être : l’index est l’expression du « je », le gratouillis est souvent le signe d’une tension émotionnelle interne, tandis que le ventre renvoie régulièrement à la possession ».
A « Cela étant posé et comme le gratouillis allait à gauche, je dirais que vos pensées tournaient autour de l’argent et du fait de ne peut-être pas en avoir suffisamment. Qu’en pensez-vous ? »
Z « …j’étais en train d’envoyer un mail à mon organisation pour leur signifier que je n’avais plus de cash et allais avoir besoin de fonds pour terminer la tournée ».
Le reste de la soirée ne fut pas pour autant beaucoup plus sympathique. Nous eûmes un échange professionnel intéressant pour le moins.
5 niveaux de communication à appréhender
Le périverbal correspond à l’espace-temps de l’échange. La « proxémique » par exemple décrit les changements d’attitudes corporelles en fonction des déplacements des individus dans l’espace.
En pratique, nous voyons les accords et désaccords d’un échange, par le phénomène de « synchronisation », c à d des gestes et des postures du corps, reproduites par l’Autre de façon réflexe et le plus souvent inconsciemment.
Le paraverbal s’attache aux variations d’intonation et de tessiture de voix. Prêter l’oreille durant une négociation aux mots répétitifs, accents toniques et variations d’intonation, c’est appréhender le niveau d’engagement émotionnelle de la personne, ce qui est important pour elle, son système de valeur en somme.
L’infraverbal considère les odeurs, les couleurs, les formes. A titre d’exemple, la pâleur ou rougeur de peau de l’interlocuteur (effet vasoconstrictif ou vasodilatatif de la peur ou de la colère) peut nous amener à réduire ou augmenter le débit de parole.
Le supraverbal appréhende les vêtements, les bijoux, les tatouages. Le choix des formes, des marques et la combinaison des vêtements indiquent régulièrement le niveau d’affirmation de Soi, de position sociale ou professionnelle.
Le préverbal enfin, étudie le langage corporel à proprement parler. Quelques notions significatives de ce niveau de vigilance :
La latéralisation, soit le fait que pour la pensée d’un occidental qui écrit de gauche à droite, le passé est naturellement placé à gauche. Les gestes apparaissant à droite traitent plus souvent du présent et du futur (cette logique s’inverse bien sûr chez un arabophone par exemple).
Comme mentionné plus haut, le corps est découpé en zone de signifiance symbolique. Par exemple, les genoux représentent « la hauteur » que nous prenons dans certaines situations. Ils sont régulièrement caressés ou douloureux en situation d’embauche ou d’oral important.
Le principe d’économie naturelle stipule que la partie archaïque du mental cherche à générer le moins de déplacement possible. Les gestes croisant l’axe sagittal du corps sont régulièrement des mouvements de reprises de distance vis-à-vis de la situation.
Cadre méthodologique et déontologique : quelques notions
De nombreux apports de cette discipline sont à la fois logiques et déroutants. Ils perturbent notre usuel sentiment de maîtrise ainsi que la notion sécurisante de « jardin secret ».
Bien qu’inconsciente, cette communication des corps « sous le radar » enclenche bel et bien de nombreuses séries d’interprétations et de projections, a fortiori quand l’échange représente une charge affective importante.
Il est parfois difficile de prendre du recul vis-à-vis de ces « ressentis » alors qu’ils sont souvent des éléments importants de l’appréciation des situations et de l’Autre.
Je constate d’expérience que plus ces appréciations ou jugements inconscients agissent de façon invisible dans les échanges et moins la parole est libre.
Quelques repères de cadrage en synergologie
1) Tant qu’elle n’est pas vérifiée, une lecture demeure une spéculation.
2) Du fait qu’à travers la synergologie et ses disciplines connexes, il est possible de connaître des caractéristiques (ponctuelles ou structurelles) de notre interlocuteur (blessures, consommation, émotions), le positionnement éthique du « lecteur » doit être clarifié fréquemment.
3) L’esprit est subjectif et raconte des situations ce qui devrait être. Le corps est objectif, il dit des situations ce qui est.
4) Le lecteur fait toujours partie du contexte de lecture. « Ne te demande pas ce que l’autre te cache. Demande-toi plutôt ce qui chez toi le force à dissimuler la vérité » P. Turchet.
Exploitation pratique de la discipline en médiation
En intervention de médiation ou de régulation, l’encadrant.e doit pouvoir mesurer la subtile balance émotionnelle en présence pour que la parole émerge sans pour autant qu’elle soit destructrice.
Balancer entre l’agressivité* nécessaire pour dire et la nécessaire sécurité pour entendre (*ét. « aller vers », ad gressere).
C’est pour beaucoup la maîtrise du « timing » de libération de la parole qui participe à l’intensité tonale utilisée et au registre de vocabulaire choisit.
Chaque « teinte émotionnelle » s’exprime en signes corporels qui nous indiquent à la fois une cause probable et un besoin. Par exemple tonicité musculaire est souvent le signe de colère. Cette dernière est produite généralement par une situation d’injustice et appelle à l’écoute et la reconnaissance.
Ici quelques exemples de régulation lors d’échanges de médiation grâce à l‘observation de signes corporels :
La tension montante :
Abaissement des arcades sourcilières, « préparation à l’affrontement » : interroger la personne sur son ressenti.
Gratouillis de gorge devant, « j’ai besoin de dire quelque chose » : poser une question ouverte.
Poignets se tendent, « rigidité intellectuelle » : reformuler le dernier propos.
Gratouillis de mâchoire, « envie de mordre » : interroger le point de vue.
La détresse :
Auto-caresse, « besoin de rassurance » : rappeler la compétence, la ressource ou le soutien.
Gratouillis derrière jambe ou cuisse, « envie de fuir » : interroger sur le ressenti.
Glissement de doigt sur le front, « honte » : nommer une défaillance ou un échec personnel.
Gratouillis derrière la tête, « je ne comprends pas » : reformuler ou donner un exemple.
La synergologie est un outil pratique de régulation des échanges. Quand elle s’inscrit dans une pratique régulière, elle améliore l’écoute, l’observation et la mémoire.
Les connaissances, la pratique et l’empathie font souvent la pertinence et la justesse des lectures. Néanmoins, en synergologie comme ailleurs, pour ne pas confondre ce que je vois de l’autre avec ce qui est en fait de moi, la première des empathies commence très lucidement par soi.
Par Arnaud Nouqué, ancien accompagnant éducatif, social et thérapeutique. Directeur du cabinet Troisième Hémisphère, dont l’objet principal vise par la formation ou la médiation à renouer le dialogue au sein des organisations publiques et privées.
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