Portrait: Guy Escalettes médiateur indépendant – Son parcours – Place de la médiation en France

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(Inter-médiés N°1)

Diplômé de l’Ifomene en 2009 et médiateur indépendant depuis six ans, Guy Escalettes nous dévoile la richesse de son parcours, et nous donne son avis sur la place de la médiation en France et dans le monde.

Je suis venu à la médiation complètement par hasard. Je viens du monde de l’entreprise, où j’ai travaillé pendant quinze ans en tant que responsable d’un service export.

En 2007, je cherchais une nouvelle activité. C’est à cette époque que j’ai entendu parler de la CNV. Je m’y suis formé et j’ai rencontré un médiateur bénévole au pénal. Je ne connaissais rien à la médiation, ce mot n’était jamais parvenu à mes oreilles.

Quand cet homme m’a expliqué ce que c’était, ça m’a fait comme un flash. J’ai tout de suite su que j’avais trouvé ma voie, que je voulais être médiateur. Cette personne travaillait au CMFM et pratiquait la médiation pénale humaniste. Je me suis renseigné sur tout ce qui se faisait en la matière. À l’époque, il existait plusieurs possibilités de s’y former. J’ai choisi le CMFM pour apprendre la médiation de type pénal humaniste, puis l’Ifomene pour une formation généraliste. J’ai fait les deux écoles en parallèle, pendant un an. Par un hasard bien organisé, je me suis retrouvé parmi les premiers médiateurs intervenant à la cour d’appel de Paris. À l’époque, les chambres sociales commençaient à mettre en place le dispositif de médiation. C’est un petit monde, et à ce moment-là, il l’était bien davantage. J’ai commencé grâce au bouche-à-oreille. Je me suis ensuite installé en libéral, en 2010.

Je travaille régulièrement. Le développement de la médiation est exponentiel. On le voit au nombre de personnes qui s’y forment. L’Ifomene est en train d’exploser sous le nombre de ses étudiants ! La possibilité de pratiquer se multiplie de façon extrêmement large, notamment dans le monde de l’entreprise où j’interviens régulièrement, ainsi que pour les associations, les institutions et l’administration. Tout le monde s’y met. D’ailleurs, l’État commence à lancer des appels d’offres dans toute la France, afin d’assurer le recours à la médiation dans la transition de tous les ministères. Plus aucune institution publique ne s’en passe. Il y a donc de plus en plus de travail pour les médiateurs. Il reste néanmoins difficile d’en vivre, nombre de médiateurs en entreprise sont également coaches, formateurs ou consultants. Ils ajoutent juste la médiation à la liste de leurs compétences. Il va falloir encore un peu de temps avant qu’elle ne soit lucrative.

La médiation est une question d’état d’esprit. Ce n’est pas juste une activité ponctuelle. Je la vois comme un métier de mission et de vocation. On sera déçu si on ne l’exerce que pour faire un bon chiffre d’affaires. C’est nécessairement une activité qui vous touche et pour laquelle on sent un appel. Toutes les personnes que je rencontre dans ce monde sont passionnées. Je me considère comme un « médiateur du quotidien », pour citer Jacqueline Morineau. On devient vraiment médiateur quand on arrive à agir également avec ses parents, ses enfants, ses amis.

Une traînée de poudre

Même si nous ne sommes pas les pionniers de la médiation des années 1980-90, nous sommes dans la vague de ceux qui sont en train de l’organiser. Le monde entier s’y met.

À ma connaissance, tous les pays membres de l’ONU veulent instaurer le recours à la médiation dans leur système judiciaire. Ce qui veut dire que, parmi les sept milliards d’individus sur cette Terre, tôt ou tard, l’un deux, s’il a un conflit, sera nécessairement en contact avec un processus de médiation. Depuis cinq ans, elle se répand comme une traînée de poudre. En 2010, quand j’ai commencé à pratiquer, on n’en entendait jamais parler. Quelques années après, impossible d’écouter un sujet à la radio ou à la télé sans qu’on n’ait fait appel à un médiateur, quel qu’il soit. Néanmoins, à ce jour, il existe probablement plus de médiateurs qu’il n’y a de médiations. L’Europe est en train de préparer une directive sur la formation des médiateurs, ce qui va cadrer la pratique. Tout s’organise de façon officielle.

J’ai travaillé pour le juge de l’exécution quand j’étais à la cour d’appel. Je suis intervenu dans des conflits vieux de plus de vingt ans…

Dans ces cas-là, les juges savent très bien que la justice seule ne solutionnera jamais le problème. Elle n’est pas suffisante.

La médiation permet de régler les différends de façon bien plus ample que ne le ferait la justice, qui règle en droit. D’un juge à l’autre, une décision peut varier pour la même affaire. En médiation, on fait intervenir toutes les sphères en jeu : personnelle, familiale, légale. Ainsi, on peut arriver à prendre en compte le conflit dans sa globalité.

Un médiateur doit-il être un spécialiste du droit du travail, s’il exécute sa mission dans une entreprise ou un spécialiste de la copropriété, s’il intervient dans un conflit dans ce secteur d’activité ? Depuis ma formation au pénal, je dis non ! Au pénal, nous rencontrons tous les cas possibles. Ils sont strictement liés à la relation, peu importe le contexte. Tant qu’on ne traite pas la relation, on ne résout pas le conflit. D’ailleurs, la négociation seule, à mon sens, ne règle pas un litige. En même temps, le médiateur peut porter un intérêt particulier à un domaine plutôt qu’à un autre, dans lequel il se sentira plus à l’aise. La formation du médiateur est vraiment essentielle, ainsi que sa façon d’être. Quand on met les doigts dans un conflit, on ne sait pas où l’on va. On est sur des œufs en permanence, ça peut partir en vrille à tout instant… Le médiateur intègre en lui ce que sont la violence et la souffrance, pour ensuite les mettre au service de ceux qui les vivent à leur tour, devant lui, en séance. Il ne peut pas faire l’économie d’aller toucher ses propres souffrances.

Savoir-être ou savoir-faire ?

J’ai réalisé une médiation en copropriété, avec dix personnes autour de la table. C’était la guerre, les gens hurlaient. Cette agressivité a été salutaire. Après des heures de chaos total, tout s’est débloqué. Le médiateur doit être capable d’assumer une telle violence et de garder son corps et son esprit coordonnés. Il doit rester tranquille, avoir la conviction qu’il va se passer quelque chose susceptible d’apaiser les parties, et doit savoir agir au bon moment.

En formation, faut-il empiler des outils de médiation ou acquérir un savoir-être au-delà de ça, qui permet de se mettre en lien avec les personnes ? Le savoir-faire est important, tout comme le savoir-être.

Je me suis formé à la CNV, outil extrêmement puissant. Je l’ai un peu laissé tomber au profit de la médiation humaniste, mais les deux pratiques sont assez similaires.

J’ai l’impression que Marshall Rosenberg et Jacqueline Morineau ont découvert les mêmes choses au même moment, dans les années 1980. Ça devait circuler dans l’air à cette époque, et deux personnes l’ont capté, chacune de son côté.

Je me suis tourné vers la médiation humaniste, car elle intègre une dimension symbolique qui permet de sortir du conflit et d’atteindre les valeurs touchées. C’est à ce niveau-là que les gens peuvent se rencontrer et se reconnaître. Je me sers beaucoup de la CNV quand c’est très « chaud ». Envoyer un besoin au bon moment peut s’avérer extrêmement efficace.

La médiation « traditionnelle » permet de sortir de l’émotion pour aller vers le besoin, qui reste cependant au niveau psychologique. À mon sens, la solution est au niveau de la symbolique. Les valeurs sont des éléments constitutifs de la personne humaine, pour lesquelles elle est prête à tout transgresser. Elles sont au-dessus de toutes les lois, certains sont disposés à tout détruire pour faire respecter leurs valeurs. Quand un processus permet à une personne de se connecter à ses propres valeurs, elle comprend tout son fonctionnement. Si, par exemple, pour un individu, la liberté est essentielle, il va comprendre que s’il en est privé, sa souffrance sera telle qu’il sera capable de tout remettre en cause pour elle.

Quand je me formais au CMFM, j’ai rejoint l’association « Les Pierrots de la nuit » pour gérer les problèmes de bruit sur les lieux festifs de la capitale. J’intervenais dans les conflits de voisinage entre riverains et clients de bars. Des artistes de rue passaient dans les endroits où les gens font la fête, et proposaient des mini-spectacles afin d’attirer leur attention sur les nuisances sonores, très gênantes pour les riverains. Ces artistes étaient accompagnés d’un médiateur qui calmait les esprits si ça chauffait, et expliquait l’opération. L’association (en partie financée par la mairie de Paris) avait contacté le CMFM. Je m’étais porté volontaire avec un autre médiateur, et nous avons mis en place le système ensemble. Ça a été une sacrée école de médiation ! On dit toujours que, pour bien faire une médiation, il faut un cadre, qu’on met les gens dans une pièce, que tout est hyper sécurisé. Là, je peux vous dire que la sécurité et le cadre : zéro ! Il peut se passer n’importe quoi… Pour apprendre le métier, il n’y a rien de mieux. C’est très impressionnant. Aller vers des gens un peu bourrés et leur envoyer un ressenti ou un besoin pour les détendre, de façon instantanée, il faut le faire. J’ai beaucoup appris de cette expérience qui aura duré un an.

Pour devenir médiateur, je crois qu’il faut « être dedans » en permanence et saisir toutes les opportunités. S’il se passe quelque chose, il faut rencontrer les médiateurs, parler avec eux, foncer dès qu’un projet se fait sans se poser de questions. À partir du moment où l’on se met en mouvement, l’univers se met aussi en mouvement pour nous ouvrir la route.

                                           Propos recueillis par Marion Delisse

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