Départ pour une nouvelle vie, Les différentes phases de la migration

Sozan Azad est éducatrice spécialisée, médiatrice, formatrice BM® et superviseure. Elle préside également la Bundesverband Mediation, la plus grande organisation de médiateurs en Europe avec 2 500 membres. Nous vous présentons un extrait traduit d’un article qu’elle a rédigé pour la revue allemande Die Mediation, trimestre III/2017, dont nous sommes partenaires.

Dans les années 2015 et 2016, plus d’un million de migrants sont entrés en Allemagne. Et avec eux, des conflits qui naissent du désir de trouver en Allemagne un nouveau “chez soi” (Heimat en allemand). Mais que signifient ces termes : “Chez soi, pays d’origine, patrie…” ? Sozan Azad nous explique à quel point il est difficile de trouver une définition.
Si on me demande d’où je viens, je réponds : de Berlin-Neukölln. Je récolte des regards irrités car, en réalité, les personnes veulent savoir où je suis née. Je vis en Allemagne depuis plus de trente ans, c’est plus que la moitié de ma vie. Un mariage arrangé par mes parents m’y a conduit. Depuis, l’Allemagne est devenue mon pays, car “chez moi”, c’est là où je n’ai pas besoin de m’expliquer. Je suis arrivée dans une nouvelle vie, mais comme tous les migrants d’aujourd’hui, cette arrivée a connu plusieurs phases, il a fallu du temps. À la phase d’adaptation, succède une phase durant laquelle les valeurs et les personnes du nouvel environnement culturel sont observées d’un œil critique, comparées à la culture d’origine et jugées. En relation avec ses propres besoins se créent des conflits qui, s’ils ne trouvent pas de solution, empêchent un contact pacifique.

Les cinq phases de la migration

Le psychologue américain Carlos E. Sluzki (2001) a développé un modèle qui décrit le processus de la migration dans ses différentes phases. Ces dernières sont déclinées en cinq étapes que les migrants vivent sur une période plus ou moins longue.

  • La préparation
  • L’acte de migration
  • La surcompensation
  • La décompensation
  • L’adaptation

Préparation

Il existe beaucoup de raisons pour lesquelles des êtres humains décident de quitter leur pays d’origine. Qu’il s’agisse de sauver sa vie en danger ou de chercher une existence meilleure pour soi et ses enfants. Dans tous les cas, cette décision porte en elle une mission : tout simplement survivre ou estimer et reconnaître l’effort que les parents ont accompli pour garantir une vie meilleure à leurs enfants, filles et garçons. En prenant la décision de fuir ou de partir, cette mission est acceptée et influence de manière inconsciente les actes et les émotions des migrants.

L’acte de migration : en route pour le nouveau pays

Le chemin pour arriver en Allemagne est souvent long et périlleux. Les traumatismes et expériences vécus durant le voyage conditionnent l’état des migrants à leur arrivée. Des situations dangereuses, des difficultés lors du franchissement des frontières, les sentiments de peur et d’humiliation, tout comme le souvenir des aides et des soutiens.

Surcompensation : la tentative d’arriver

Dans un premier temps (un à deux ans), les sentiments et les actes des migrants portent l’empreinte de ce qu’ils ont vécu durant leur fuite et de l’effort fourni pour trouver leurs marques dans la nouvelle culture. Souvent, les souvenirs terribles sont occultés, ils veulent “vivre bien”, être récompensés pour les efforts fournis.

Il en résulte une attitude très conciliante : les conflits sont refoulés, la curiosité est prépondérante. Les personnes sont centrées sur elles-mêmes et cherchent des repères. Dans un premier temps, elles sont surtout souvent en état de choc. Additionnés, ces faits expliquent pourquoi il y a, au début de leur entrée en Allemagne, peu de conflits dans les camps de primo-accueil. S’y ajoute la très grande tolérance initiale des Allemands.

Dans cette phase de surcompensation, les migrants ressentent aussi physiquement les différences dans ce nouveau pays : les conditions météorologiques, les horaires, le comportement social dans cette nouvelle culture diffèrent parfois totalement de ce qu’ils connaissent, et ces données ont besoin d’être expérimentées et intégrées. Par exemple, des personnes qui pratiquent le Ramadan découvrent que le jeûne entre mai et juin ne dure pas neuf heures comme dans leur pays d’origine, mais quinze heures et plus, car les heures du lever et du coucher du soleil sont différentes.

Décompensation

Deux à trois ans plus tard, ce processus “d’arrivée” est terminé, la survie est assurée. Le désir de répondre à des besoins sociaux se développe. Les migrants veulent faire “partie de”, être reconnus, avoir des amis, du travail et être capables de gérer activement leur vie et leur environnement.

En même temps, leurs propres valeurs reprennent de l’importance. La culture d’origine est idéalisée, et celle du pays d’accueil dépréciée. Des conflits de valeurs naissent, surtout si les besoins sociaux restent inassouvis. Ceci mène à “une lutte du pouvoir des cultures”, dont résultent l’incompréhension et la distanciation. Souvent, ces conflits ne trouvent pas de solution. Si, par contre, il est fait appel à un médiateur, celui-ci, de par sa neutralité et son impartialité, sert de traducteur des désirs et des représentations des deux parties et rend possibles la compréhension et l’acceptation mutuelle. 

Adaptation

L’adaptation des migrants en Allemagne est considérée comme réussie lorsqu’un équilibre dans le vivre ensemble pacifique a été trouvé dans la culture d’accueil. Il ne s’agit pas d’accepter les valeurs allemandes au détriment de sa culture d’origine, mais de créer un mélange des valeurs d’origine et de celles de ce nouveau “chez soi”.

Le rôle de la médiation dans le processus de la migration : des voies vers l’intégration.

Les conflits qui surgissent dans la quatrième phase de la migration entre personnes de différentes cultures sont parfois insolubles, les fronts se durcissent et il est de plus en plus difficile de faire un pas vers l’autre. À long terme, des conflits non résolus créent un fossé. Pour cette raison, il est extrêmement important d’agir à ce moment précis, et ce, de manière ciblée, afin de contrecarrer une décompensation. C’est la seule façon de prévenir la lutte du pouvoir des cultures mentionnée ci-dessus et d’éviter le détournement de la société d’accueil.

La médiation permet aux personnes en conflit de pénétrer le fond de leur désaccord et d’entamer un dialogue. En posant de nombreuses questions et sans juger, le médiateur offre la possibilité de comprendre l’autre. C’est ainsi que se crée une base pour échanger au sujet du conflit et de trouver ensemble des solutions. Les médiateurs, tout comme d’autres acteurs du monde politique, social et économique, deviennent de ce fait responsables et garants d’un processus d’intégration réussi. En trouvant des solutions lors des conflits interculturels, ils aident à l’intégration des migrants dans la vie sociale et économique allemande.

Chaque conflit qui trouve une solution via une médiation rend un service important à la société, car il génère un effet boule de neige et constitue un apprentissage qui concerne les migrants tout autant que les Allemands. Le comportement compréhensif et l’attitude bienveillante qui se créent durant une médiation sont portés à l’extérieur et appliqués ensuite dans d’autres situations. Si nous parvenons à réunir raisonnablement les cultures, sans que d’autres conflits interculturels surgissent, l’intégration sera également réussie.

Traduit par Christel Schirmer

Vous aimerez aussi...