Le Schéma de la communication

Le Schéma de la communication

“It takes two to make a truth”*

Pour communiquer, il faut être deux ! Catherine Emmanuel vous propose dans ce numéro un tour du b.a.-ba de la communication. Comment peut-on bien procéder pour se faire entendre de l’autre ? Pour se faire comprendre ? Cela s’apprend ! À vos marques…

Article paru dans Inter-Médiés N°5

Nous communiquons dès la naissance et disposons d’outils de plus en plus sophistiqués pour cela. Pourtant, force est de reconnaître que nous nous plaignons, qui de ne pas être entendu, qui de ne pas pouvoir s’exprimer, qui de ne pas être compris. Comme nous le rappelle Nathalie Sarraute, il peut parfois suffire d’un “C’est bien, ça !” (1) prononcé sur un certain ton pour qu’une amitié, jusque-là indéfectible, vire au conflit ouvert.

C’est que l’on omet un point important : autant la communication est un phénomène naturel, autant bien communiquer, cela s’apprend. Si nous disposons d’outils exponentiels pour transmettre l’information, nous ne disposons guère de moyens de communication efficaces : là où l’information suppose de s’attacher à un contenu, la communication suppose de s’attacher à ce qui est mis en commun entre deux individus, en d’autres termes, à la relation dans laquelle l’on souhaite s’inscrire avec l’autre, laquelle suppose un échange.
Croyant communiquer, alors qu’on ne se situe guère que dans un cadre informationnel, on a communément l’habitude d’insister sur le message lorsque l’autre n’entend pas ce que l’on veut dire : on le répète à l’envi, on hausse le ton, on le dit de mille et une façons… Et, cette insistance sur le message produit l’exact effet inverse que l’on souhaitait : “Ça fait dix fois que je le lui répète et il ne comprend rien !” De là, l’impression que l’autre, décidément, est de mauvaise foi, fait preuve de mauvaise volonté, ou encore est méchant, voire carrément pervers pour ne pas prendre en considération ce que je dis et répète. Ce faisant, on se trompe sur ce qui importe en matière de communication : on met l’accent sur le message, alors qu’il existe d’autres dimensions cachées de la communication tout aussi importantes, si ce n’est plus.

Un échange égal

La communication est un processus complexe, circulaire et rétroactif (cf. l’Ecole de Palo Alto). Et bien communiquer, comme l’illustre le schéma de la communication infra, cela implique deux choses fondamentales auxquelles on ne pense que rarement.

D’une part, bien communiquer, c’est accepter un échange égal de la parole et de l’écoute : être à la fois émetteur et récepteur, sans prééminence de l’un ou de l’autre. D’où le fait que le médiateur garantisse à chacun un partage équitable du temps où il parlera et écoutera. D’où aussi le caractère circulaire de la communication, laquelle suppose un feedback, ce retour d’information qui permet de mesurer l’écart entre le message émis et le message reçu. Précisons que le feedback, littéralement “nourriture en retour”, indique que toute communication s’inscrit dans une logique du don/contre-don (2) : je ne peux être entendu que dans la mesure où je prends la peine d’entendre l’autre. En d’autres termes, de même que l’on récolte ce que l’on sème, on reçoit ce qu’on communique : ce que je dis, c’est ce que l’autre a compris et, s’il ne me comprend pas, à moi de dire les choses autrement. A défaut, on assiste à un monologue (“Il ne me laisse pas en placer une ! ”), ou encore à un dialogue de sourds (“Elle ne m’entend pas !”).

D’autre part, et contrairement à ce que pourrait laisser croire notre tendance spontanée à tout miser sur le message, bien communiquer c’est prendre en compte d’autres éléments encore plus fondamentaux que le message. Quels sont-ces éléments qui priment sur ce que l’on dit ? Le cadre de référence et l’état émotionnel de chacun, la relation entre les personnes et le contexte dans lequel elles interagissent, le canal et le code utilisés pour transmettre matériellement le message.
Et de tous ces éléments prime l’ensemble constitué par le cadre de référence de chacun, à savoir ses croyances, valeurs et besoins, lesquels déterminent tout à la fois l’intention que chacun a dans la communication et la manière dont les mots résonnent pour lui. Ce qui me paraît d’une limpidité aveuglante m’empêche justement de voir que l’autre ne partage pas nécessairement la même vision des choses, et ce, quand bien même nous utiliserions les mêmes mots : bien communiquer, c’est se demander “Je parle à qui ?” avant même “Je parle de quoi ?” ; bien communiquer avec l’autre, cela implique de mettre à jour aussi bien mes attentes que celles de l’autre. Et pour cela, il importe de connaître la manière dont chacun formule les choses à travers son propre cadre de référence, le contenu du message n’étant, in fine, que le support matériel, visible et secondaire d’une intention immatérielle, invisible et première : satisfaire un besoin, respecter une valeur et/ou honorer une croyance.

Comment s’exprime ce cadre de référence ?

Le poids des croyances
“Chez nous, c’est normal de se crier dessus, qu’on soit d’accord ou pas : on est très expressifs, on crie et après tout va bien.”
Le poids des valeurs
“Au début, j’ai adoré qu’il soit musicien. Moi, j’avais eu une éducation stricte, classes prépas, grandes écoles… Mais, maintenant, son côté fantaisiste alors qu’on est devenus parents, ce n’est plus possible : il faut être responsable. Et sa façon de gérer l’argent, ce n’est pas sérieux ! ”
Le poids des besoins
“Ça a toujours été comme ça : je n’ai jamais pu compter sur lui. Quand j’ai accouché, je n’ai plus supporté qu’il continue de partir tous les week-ends pour aller jouer au foot avec ses copains. Je ne le voyais jamais, vu que la semaine, il travaillait. Du coup, j’étais toute seule avec le bébé qui ne faisait pas ses nuits, et moi, je n’en pouvais plus.”

S’il s’agit bien, en matière de communication, de faire passer quelque chose d’une personne à une autre, transmettre, donner connaissance ou faire partager à quelqu’un, l’art de la communication a plus à voir avec ce qui relève des personnes que des choses.
Contrairement à ce que pourraient croire ceux qui considèrent que “si on s’appelle, c’est qu’on a un truc à se dire”, le schéma de la communication rappelle, si besoin est, que toute communication implique un échange des places entre locuteur et récepteur, sur le sens spécifique que chacun a pu se faire de ce qu’il s’est passé et de ce qu’il souhaitait dire : on ne communique pas quelque chose, mais on entre en communication avec quelqu’un. À défaut, la communication constitue un terreau fertile aux malentendus, source inépuisable de conflits en tout genre, comme l’illustre cet échange entre deux copropriétaires concernant la construction d’un muret : l’un soulignant qu’au moment de voter les travaux “Je n’ai pas dit oui !”, ce qui dans son cadre de référence signifie qu’il n’était évidemment pas d’accord ; l’autre rétorquant “Tu n’as pas dit non !” ce qui, dans son cadre de référence, signifie qu’il était forcément d’accord.
Communiquer c’est avoir conscience du fait “qu’une médaille peut avoir deux faces ou bien encore qu’un point de vue puisse être différent selon l’angle sous lequel on l’envisage” (3) : pour s’accorder, il reste à pouvoir définir le cadre à partir duquel chacun s’exprime pour mieux débattre, dans une conscience partagée des enjeux.
Maintenant, force est de constater que, si s’engager dans un dialogue équilibré qui prenne en compte le cadre de référence de chacun est certes une première base pour bien communiquer, cela ne saurait suffire : le plus souvent, et malgré la bonne volonté de chacun, les choses dérapent sans que l’on comprenne bien pourquoi. D’où l’intérêt de recourir à un tiers médiateur…

Par Catherine Emmanuel

*Par Maria José Frapolli Sanz

(1) Pour un oui ou pour un non, Nathalie Sarraute.
(2) Essai sur le don, Marcel Mauss.
(3) Le point de bascule, Les Cahiers de Montalieu

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