L’assureur en médiation judiciaire

“Tout à gagner, rien à perdre”

Dans le contentieux judiciaire, la condamnation à dommages et intérêts, résultant de la responsabilité pour faute dans l’exercice d’une l’activité professionnelle réglementée, repose sur le fondement de l’inexécution de l’obligation (1).. Quid du positionnement de l’assureur ? Explications.

S’agissant d’une obligation de moyen, la condamnation à dommages et intérêts suppose trois conditions : une faute, un lien de causalité entre la faute et le dommage, un préjudice directement consécutif. La condamnation encourue représente parfois des enjeux financiers tels que seuls les assureurs peuvent en garantir le paiement.

L’assureur est en principe attrait à la procédure par celui qui met en jeu la responsabilité du professionnel assuré, dont il demande la condamnation solidaire à réparer le préjudice invoqué. Si le juge décide de proposer une médiation acceptée par les parties, l’assureur – tiers à la relation dans laquelle le conflit s’est enraciné, mais attrait à la procédure par le biais de l’action directe de la victime – devient un acteur essentiel de la médiation.

Des parties qui s’engagent librement sur un pied d’égalité : fiction ou réalité ?

Il faut bien reconnaître que trop souvent, la réponse positive des parties en défense relève plus de la crainte de déplaire au magistrat que d’une réelle volonté de s’engager dans la voie de la médiation. Il appartiendra au médiateur d’identifier les bons interlocuteurs lorsqu’un médié est une personne morale et de travailler la motivation des parties en présence. C’est au fil des échanges, des réunions et des apartés qu’il percevra si la volonté de coopérer a fini par l’emporter sur la force d’inertie.

Pour définir sa stratégie, l’assureur ne dépend pas des humeurs, du bon vouloir, ni même de l’avis de son assuré sur les griefs formulés à son encontre dans l’assignation. La clause de direction du procès, très fréquemment insérée dans les polices d’assurance de responsabilité afin d’éviter tout conflit d’intérêts entre assureur et assuré lors du procès en responsabilité civile, lui donne mandat d’assurer la défense de son assuré, faisant de lui le véritable dominus litis du procès fait à son assuré.

Cette clause se justifie par le fait que l’assureur supportera, quoiqu’il en coûte, la charge de la dette en cas de condamnation ou de transaction. L’assuré ne peut donc prendre aucune initiative et s’interdit de s’immiscer dans le choix des moyens de défense. Il doit coopérer avec l’avocat désigné par l’assureur. Toute immixtion peut être sanctionnée par la déchéance de la garantie.

Ainsi, d’acteur à part entière d’une relation professionnelle et du conflit qu’elle a généré, l’assuré, défendeur principal à l’instance engagée contre lui, devient spectateur de son propre procès.

L’entrée en médiation peut-elle modifier ce statut de figurant ?

La médiation proposée par le juge procède de la demande dont il est saisi et du texte de loi qui l’autorise à suggérer cette alternative, l’exonérant ainsi du grief de déni de justice. Pour autant, cette parenthèse judiciaire qu’est la médiation ne dessaisit pas le juge tant qu’un accord n’a pas été conclu. Rappelons que le juge dispose du pouvoir d’y mettre fin à tout moment sur demande d’une partie ou à l’initiative du médiateur, voire d’office lorsque le bon déroulement de la médiation apparaît compromis [art.131-10 du Code de procédure civile].

Elle ne dessaisit pas plus l’assureur du bénéfice de la clause de direction du procès qui fait de lui l’acteur incontournable propulsé sur le devant de la scène de la médiation. Celle-ci a cependant le mérite d’offrir un espace de parole à l’assuré, sans lequel le processus perdrait tout son sens.

Elle lui permet non seulement de faire valoir son point de vue et son interprétation des faits, mais aussi d’entendre celui qui a mis en cause sa responsabilité. Il se débarrasse ainsi de son statut d’accusé pour endosser celui de médié et retrouver sa qualité de partenaire professionnel, ce qui n’est pas négligeable.

Le professionnel dont la responsabilité est mise en cause a donc bien sa place dans les deux premières phases du processus de la médiation mais, en revanche, la recherche d’une solution demeure l’affaire exclusive de l’assureur, qui va régler le sinistre et de la victime du dommage qui demande réparation.

L’assuré, affecté par ce qu’il a vécu et blessé dans son ego, sera enclin à relativiser sa responsabilité alors que l’assureur, professionnel de la gestion des risques et situations à implications multiples, a l’expérience et la compétence pour jauger le degré de responsabilité de son assuré et négocier en conséquence. La clause de direction du procès trouve ici et encore sa justification.

La stratégie des gains mutuels : une alternative à construire

“Il faut comprendre ce qu’est la médiation pour y avoir recours et voir ce que l’on en attend, dans quel contexte et pour quelle stratégie ?” (2), dit Catherine Pautrat. Cette réflexion est aussi une invitation pour le médiateur à faire œuvre de pédagogie, à se remettre en cause et à conduire le processus avec une stratégie adaptée au contexte et à la situation des parties.

Le surgissement des MARD  dans le monde de l’assurance comme ailleurs a été et demeure une révolution culturelle. Les assureurs, régulièrement assignés en justice et assistés d’avocats spécialistes du droit des assurances et de la responsabilité, ne craignent pas la longueur des procédures et savent même en tirer avantage. Mais ils possèdent aussi l’art de négocier, n’ignorant rien de l’adage, “une mauvaise transaction vaut mieux qu’un bon procès”. La confidentialité que leur garantit l’espace de médiation est pour eux un gage de confiance et de sécurité.

L’assureur n’a pas d’affect ni de besoin au sens de motivations primaires. Sa seule motivation est d’accorder ses intérêts à ceux de son assuré. Il va commencer par analyser son risque et l’aléa judiciaire à partir de trois critères objectifs : juridique, technique et financier, au besoin à l’aide d’un expert qu’il aura mandaté pour évaluer au mieux le plafond du sinistre qu’il doit provisionner. Il va ensuite utiliser l’espace de médiation pour affiner son analyse en fonction des échanges et des informations recueillies et, le cas échéant, des propositions de rapprochement formulées par le demandeur. Au médiateur de s’en emparer pour que les parties abandonnent les querelles de position, se concentrent sur les intérêts en jeu, les explorent ensemble et élaborent des solutions mutuellement satisfaisantes.

Il n’y a ni vainqueur ni vaincu en médiation. Mais l’assureur, en signant l’accord pourrait bien se dire en son for intérieur, tel le négociateur diplomate de “Saint Germain ou la Négociation”, roman de Francis Walder : “En réalité, je me trouvais dans cette position suprême de l’arbitre qui, debout entre les deux partis, n’appartient plus ni à l’un ni à l’autre, mais joue son propre jeu par la volonté même de ceux qui l’ont désigné.”

Patrice COSTER

(1) Selon les dispositions du Code de procédure civile
Art 1231-1 : – “Le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, s’il ne justifie pas que l’exécution a été empêchée par la force majeure.”
Art 1231-2 : – “ Les dommages et intérêts dus au créancier sont en général, de la perte      qu’il a faite et du gain dont il a été privé […]”.

(2); Cf. Entretien avec Catherine PAUTRAT, présidente du Tribunal judiciaire de Nanterre – Revue Intermédiés n°8

Vous aimerez aussi...