Le médiateur crève l’écran

Dans un monde en plein bouleversement, limitant les interrelations sociales, la médiation a subi des transformations majeures dans son mode de fonctionnement. La nature ayant horreur du vide, les médiateurs ont su innover dans un temps extrêmement court pour continuer leur mission. Renonçant, en tout ou partie, au présentiel au profit du distanciel, les médiateurs s’interrogent sur la mutation vers un exercice en visioconférence sans connaître précisément quelles seront les conséquences sur leur activité et les résultats.

La visioconférence et la médiation

« Rien n’est permanent, sauf le changement » (Héraclite). Suite à la crise de la COVID, la visioconférence s’est révélée être une belle opportunité pour les médiateurs qui ont pu organiser des médiations et ce sur tous les continents. Des plateformes telles que Zoom, team, meeting, Starleaf etc, offrent tout un outillage performant permettant de projeter des documents, faire des cours avec tableau blanc, organiser des conférences et des médiations avec possibilité de faire des apartés. Bref, tout une panoplie de services en ne bougeant pas de chez soi.

Et que peut-on dire de cette pratique pour conduire des médiations, véritables plongées dans l’humain ? La visioconférence n’est-elle pas à l’opposé de l’esprit même de la médiation ? Peut-on saisir le langage du corps et percevoir les émotions.

La visioconférence, comme la langue d’Esope, est la meilleure et la pire des choses

La visioconférence : une réponse pragmatique au contexte actuel ?

Le temps est une donnée très spécifique en médiation. C’est un argument fort pour inciter et convaincre les personnes à accepter de régler à l’amiable un différend souvent très difficile à vivre. Une fois la médiation acceptée, les personnes ont généralement hâte d’en finir. Le temps de la médiation est donc habituellement court. La visioconférence a été une aubaine car elle a permis aux médiateurs non seulement de pouvoir continuer leur activité mais aussi de répondre dans les délais prévus afin d’être en cohérence avec les attentes des médiés.

En aménageant leur pratique dans l’urgence, les médiateurs ont su faire face à une demande pressante des médiés, pour lesquels, confinement ou pas, COVID ou pas, une résolution amiable de leur conflit selon un mode décalé et efficace par la visioconférence est hautement préférable à l’attente et à l’incertitude.

La visioconférence ouvre des perspectives nouvelles pour la pratique de la médiation. Pouvoir agir depuis chez soi, sans avoir à louer une salle (neutre), en évitant des déplacements, parfois longs ou difficiles, surtout en région parisienne, en gagnant donc du temps et en maîtrisant les coûts, voilà les vrais plus de la médiation à distance.

La visioconférence abolit les distances et permet à des personnes, parfois éloignées de plusieurs centaines, voire milliers de kilomètres de pouvoir engager un dialogue.

Elle ajoute à l’audio du téléphone la force de l’image qui renforce l’illusion d’un contact physique.

Ce processus concourt à établir un nouvel équilibre économique de l’activité de médiation.

Il peut favoriser la décision d’entrer en médiation – « Je ne veux pas le voir » – dans des contextes particulièrement tendus. Il s’agit bien d’une rencontre virtuelle, ce qui facilite les choses pour tous ceux qui ne peuvent plus « se sentir ».

Et c’est là aussi la faiblesse du système.  L’écran fait écran et la réalité est bien virtuelle.

Comment le médiateur peut-il tenir la distance en distanciel ?

Derrière un écran, personne ne se voit réellement, mais tout le monde voit tout le monde. L’écran peut être ressenti comme un filtre, voire un mur infranchissable, ne laissant plus passer les émotions, les énergies qui circulent entre les médiés dans une séance en présentiel. Et que dire de la confidentialité ? Dans l’endroit où les personnes sont installées et malgré les recommandations, il peut y avoir du passage et de l’exiguïté. La difficulté de concentration peut être difficile. Je me souviens de mes difficultés lors d’une des premières médiations réalisées à distance. Elle concernait la garde d’un tout jeune enfant par un jeune couple séparé. La jeune femme était connectée avec son téléphone portable et bougeait en permanence. A un moment, son père lui a posé une question – il était donc dans la pièce ou pas très loin – et puis elle nous a montré son enfant…Bref, même s’il y a eu résultat positif, le cadre n’avait pas été respecté donc n’avait pas été bien posé.  Celui-ci doit être particulièrement strict, clair et bien réfléchi pour être adéquat au contexte de la visioconférence. Bref, tout doit être pensé pour rester en contact actif avec les personnes, malgré la présence de l’écran.

De même, où sont les 5 sens en action lors de toute médiation ? Dès lors que le médiateur devient un interlocuteur lointain, derrière un écran, la plupart des sens sont altérés. Ainsi, il est possible pour un médié non d’entrer en médiation au travers le rituel de l’accueil du médiateur faisant appel au sens kinési logique mais d’assister à une simple représentation dans laquelle il serait à la fois acteur et spectateur. Et paradoxalement, l’écran porte à se mettre à nu par le regard de l’autre. Le visage devient le centre de l’attention. C’est pourquoi, de nouveaux comportements émergent, après la phase d’apprivoisement de la nouvelle technique, pour contrôler l’image envoyée aux autres. A l’écran, s’ajoutent désormais les filtres divers et variés pour flouter le fond ou le remplacer par un fond neutre qui ne dit rien sur soi. A quand une médiation dans laquelle un des médiés refuserait de laisser ouverte sa caméra ? Et face à un tel comportement, que doit faire le médiateur ?

Enfin, quel est le territoire pour la médiation ? Chaque médiateur crée à l’occasion d’une médiation un espace-temps dans lequel il maîtrise les acteurs, le processus et la durée. Dans une visioconférence, il renonce de facto au contrôle du territoire puisque le champ de la médiation n’est plus le sien. Il est à la fois réduit au champ de la caméra de chaque médié et multiple puisque chaque médié occupe un lieu différent. De plus, il ignore tout de ce qui est hors champ, de ce qui s’y passe, des personnes éventuellement présentes. Le territoire de la médiation n’est plus le sien.

Les limites de la médiation se portent essentiellement sur la posture de médiateur, la mise en œuvre du principe de confidentialité, la mise sous tension de la relation et le risque de perte de responsabilité des médiés.

La médiation en distanciel : un incontournable pour le monde d’après ?

L’évolution issue de la crise sanitaire est une lame de fond. Il sera difficile aux médiateurs de s’y opposer. Autant anticiper et se mettre en ordre de marche pour assimiler les changements en cours et les intégrer aux principes de la médiation.

Notons tout d’abord les avancées récentes du droit en la matière. Ainsi, les médiations conventionnelles ou judiciaires peuvent se tenir et répondre aux critères propres à la médiation notamment ceux de la liberté d’entrer en médiation et de la confidentialité. A propos de la confidentialité, des mentions spécifiques, liées à l’engagement des parties prenantes à être seuls par exemple, sont à ajouter sur les contrats, signés en amont de la médiation. De même, le décret du 23 décembre 2020[i] portant approbation du référentiel d’accréditation des organismes certificateurs des services en ligne de conciliation médiation et arbitrage est le témoin de l’entrée dans les mœurs de ce mode de gestion des différends.

Reste que la visioconférence est à considérer comme un outil au service de la médiation et non comme un aboutissement. Dès lors, il est important de savoir utiliser à bon escient ce nouvel outil. Ainsi dans les phases préparatoires, son utilisation peut facilement compléter l’usage du téléphone, permettant également les échanges et de partage en ligne de documents.

De même, il est nécessaire de s’interroger sur les conditions de sa mise en œuvre. Faut-il l’utiliser à toutes les médiations ? En restreindre l’usage à quelques-unes seulement ? Lesquelles ? Ainsi, déterminer les médiations éligibles à l’approche distanciée permettra de discriminer la pertinence d’aller en médiation par visioconférence ou non et d’établir quels sont les avantages à en tirer selon les types de médiations.

Enfin, puisque la visioconférence est un outil, il est primordial pour chaque médiateur d’apprendre à en maîtriser les codes. Une voie pragmatique à suivre est celle de la formation.

La visioconférence : un nouveau chantier

Il est donc, dès à présent, nécessaire d’établir un mode opératoire, compatible avec l’éthique et la déontologie propres à la médiation. Il est à co construire par les médiateurs eux même afin de définir avec précision les bonnes pratiques. C’est la voie à choisir pour garantir aux médiés le respect des principes fondamentaux.

Un nouveau chantier s’ouvre.

Rédigé à quatre mains par Gabrielle PLANES et Jean Philippe NAUDON

[i] https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/article_jo/JORFARTI000042739284

Vous aimerez aussi...