Droit collaboratif: L’avocat devient le partenaire juridique et constructif du différend

(Inter-médiés N°3)

Droit collaboratif L’avocat devient le partenaire juridique et constructif du différend.
Au regard des pratiques judiciaires actuelles, les modes alternatifs de règlement des conflits ne cessent de se développer. La procédure collaborative participe de cette évolution. Essentiellement utilisée à ses débuts en 2007 en droit de la famille en France, elle se propage maintenant dans de nombreux domaines comme le droit social ou le droit des affaires.

La procédure collaborative est un processus alternatif au contentieux mené par les avocats, qui doivent suivre une formation spécifique. Il est proposé par ces derniers à leurs clients dès l’ouverture de leur dossier, afin de les aider à trouver une solution durable à leurs conflits, en dehors de tout cadre judiciaire. Pour mieux connaître ce processus très élaboré, Inter∞médiés a rencontré deux praticiennes du droit collaboratif : Maître Béatrice de Chaignon et Maître Anne Karila-Danziger, avocates à Paris, qui exercent leur activité uniquement en droit de la famille.

Inter∞médiés : chers Maîtres, présentez-vous…
Béatrice de Chaignon et Anne Karila-Danziger :
nous avons une longue expérience du droit de la famille et de son contentieux, mais nous avons toujours privilégié la négociation et la recherche d’une solution transactionnelle. Nous considérons l’une et l’autre qu’en droit de la famille, le procès est bien souvent délétère, car il excite le conflit. Par ailleurs, les tribunaux, de plus en plus débordés, n’ont ni le temps ni les moyens de répondre aux questions soulevées par les justiciables. En négociant, on peut traiter un dossier dans toute sa globalité et sa complexité et on évite en bout de course l’aléa judiciaire.

La négociation est une activité classique de l’avocat, et vos confrères négocient aussi tous les jours. En quoi la procédure collaborative s’en démarque-t-elle ?
Béatrice de Chaignon :
effectivement, la négociation a toujours été une des grandes missions de l’avocat. Cependant, la négociation dans sa pratique courante, dite de position, conduit la plupart du temps à un rapport de force, à des schémas de donnant-donnant et de marchandage, qui sont mal supportés par nos clients. Par exemple, en matière de divorce, l’expérience montre que les accords nés d’un rapport de force sont fréquemment suivis de contentieux sur ses conséquences (résidence des enfants, pensions alimentaires…). En effet, la partie qui sort d’un accord accouché au forceps avec un fort sentiment de frustration pourra chercher plus tard à prendre une sorte de revanche. Ceci n’a évidemment rien de satisfaisant lorsque l’on s’occupe de familles.
Anne Karila-Danziger : la procédure collaborative utilise des outils qu’on ne rencontre pas dans une négociation classique : ceux de la négociation raisonnée, de l’écoute active et de la communication non-violente, et ce, dans un cadre sécurisé et organisé. Celui-ci repose sur trois engagements : le non-recours au juge pendant toute la durée du processus, la transparence des parties sur leur situation, et l’obligation pour les avocats de se démettre en cas d’échec. L’avocat ne négocie pas pour son client, il l’assiste dans un processus destiné à le rendre autonome et à l’aider à se réapproprier le conflit. L’avocat s’interdit de donner des solutions. C’est un exercice difficile mais très gratifiant lorsqu’il est réussi !

Pouvez-vous maintenant nous expliquer de façon plus précise le mode opératoire du processus ?
A.K.-D. :
lorsque nous recevons nos clients pour la première fois, nous leur présentons le processus collaboratif, comme les autres modes amiables. Si le client est intéressé, et que son conjoint a aussi un avocat formé, un premier rendez-vous à quatre peut être organisé. C’est le rendez-vous test, au cours duquel la convention de participation au processus est lue ensemble. La procédure collaborative est réexposée. Les grands principes, comme la confidentialité renforcée ou la non-utilisation de la menace judiciaire, sont rappelés. Si tout le monde est d’accord, on signe la convention. L’exercice peut démarrer.
B. de C. : le second rendez-vous est celui du récit, par chacune des parties, récit fait à la première personne et qui n’appelle pas de réponse de l’autre. L’utilisation du Je est essentielle car il correspond au ressenti. Les avocats veillent au respect du protocole comme l’équilibre du temps de parole, le respect de l’autre et la courtoisie. Ces règles n’interdisent pas d’exprimer de la colère ou de la tristesse s’il y a lieu, mais sans prendre l’autre à parti. Puis, comme c’est le cas dans un divorce par exemple, l’avocat de la femme reformule le récit du mari et l’avocat de l’homme celui de l’épouse. La reformulation croisée permet de se sentir écouté. Cet état des lieux du conflit fait l’objet, comme après chaque rendez-vous collaboratif, d’un compte rendu rédigé par chacun des avocats à tour de rôle.
A.K.-D. : ce document assez détaillé est lu lors de la réunion suivante, où s’expriment les intérêts, besoins, préoccupations, valeurs et motivations. Cette phase est très importante et doit être préparée en amont, car il faut apprendre à nos clients à distinguer une demande d’un besoin, ce qui n’a rien d’évident : ainsi, dire “j’ai besoin d’avoir mes enfants avec moi une semaine sur deux” n’a pas le même sens que “j’ai besoin d’être présent le plus possible au quotidien dans la vie de mes enfants”. Cette étape est assez surprenante, car on s’aperçoit souvent que les besoins exprimés par nos clients sont sensiblement les mêmes ou qu’ils se répondent. La procédure collaborative prend alors toute sa dimension, car l’objectivation du conflit est en œuvre. Cette étape est également très gratifiante pour les avocats qui participent à un exercice de réapprentissage de la communication entre leurs clients.
B. de C. : la phase suivante, dite de détermination des éléments objectifs, peut alors s’organiser. Les avocats établissent ensemble la liste de toutes les pièces qui doivent être au dossier pour permettre sa bonne et entière compréhension. Puis ils réalisent, au vu de ces pièces, un audit évaluant toutes les hypothèses juridiques et financières de la situation des parties, en ayant recours à un expert, par exemple un notaire, si nécessaire et si les clients sont d’accord. Ces derniers sont ainsi pleinement éclairés, et d’une seule voix, par les deux avocats ensemble.
A.K.-D. : l’étape dite des options suit. C’est le moment de grande créativité ! Se tient ensuite une dernière réunion, préparée en amont par chaque avocat avec son client, où chacun présente trois offres, qui doivent répondre aux besoins exprimés de l’un et de l’autre et être compatibles avec l’état du droit en vigueur. L’accord se réalise finalement si une offre commune est retenue ou si un aménagement des trois offres peut être proposé et accepté. Il est important de rappeler qu’en cas d’échec du processus et si un contentieux se profile, les deux avocats participants se retireront du dossier et ne pourront plus ni l’un ni l’autre assister leur client, que les suites soient contentieuses ou pas.

On comprend, en écoutant votre déclinaison des étapes, que ce processus est très structuré et qu’il nécessite un investissement important des protagonistes et en particulier des avocats…
B. de C. :
c’est vrai. Chaque réunion implique une préparation très approfondie, un ordre du jour précis, discuté par les avocats et proposé à leurs clients. Les avocats formés au processus doivent toujours veiller à la dynamique des échanges, mais dans un cadre de confiance et de bienveillance, où sont respectées les règles d’une communication courtoise, ce qui n’est pas toujours facile dans les conflits familiaux…

Vous évoquez le sujet de la formation précisément. Cela vous semble-t-il essentiel au regard du caractère précis et exigeant du processus ?
A.K.-D. :
bien sûr. Tout dossier traité par ce biais implique la participation d’avocats extrêmement bien formés afin de parvenir au but recherché, c’est-à-dire l’obtention d’un accord pérenne répondant aux besoins de nos clients, dans un cadre sécurisé.

Où se former et à qui s’adresser pour trouver un avocat et en savoir plus sur le processus collaboratif ?
A.K.-D. :
nous avons été toutes deux formées par l’AFPDC, l’Association française des praticiens du droit collaboratif. Cette structure de référence propose des formations partout en France et regroupe aujourd’hui la plupart des professionnels formés au droit collaboratif. Sa vocation est de le promouvoir afin de reconnaître ce mode alternatif au contentieux si efficace.

Propos recueillis par Éric Bailly.

Éric Bailly est cadre de la fonction ressources humaines en entreprise et médiateur conventionnel et judiciaire dans les conflits du travail.

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