La médiation, l’ultime espace de démocratie…

Si la démocratie se mesure au degré de respect des libertés fondamentales, les diverses atteintes à la liberté d’expression observées ces dernières années dans l’hexagone ont de quoi inquiéter.

Peut-on encore parler de démocratie quand la crainte du réel et des vérités qu’il renferme amène à la censure consciente ou inconsciente, voulue ou imposée, et partant de là, à la pire des lâchetés : le déni ? Quand les mots sont dévoyés, vidés de leur substance ou voilés d’un « politiquement correct » qui sème l’incompréhension et la frustration d’un échange stérile ? Comment s’écouter quand on n’entend pas ? Comment comprendre quand on n’écoute pas ? Comment expliquer quand on ne comprend pas ? Comment parler quand on nie les mots, les siens et ceux de l’autre ? Comment dialoguer quand les mots sont instrumentalisés et font peur ? Comment aller vers l’autre ou lui faire face sans se les (ré)approprier ?

La plume plutôt que l’épée a dit l’écrivain. Mais encore faut-il être libre de ressentir, de construire sa pensée et de l’exprimer à l’autre qui l’accepte avec sincérité. La médiation questionne in fine sur l’état de la démocratie dans notre société où les espaces d’expression pullulent pourtant à la faveur du numérique qui accentue le règne de l’individu.

Les réseaux sociaux permettent en effet à leurs utilisateurs de mettre en vitrine leurs centres d’intérêt. Or, avec le boom des « influenceurs », ces générateurs d’individualités sur fond de popularité sont devenus des plateformes de conformisme (« je te copie donc je suis »). Les « abonnés » font leur la vérité, et donc le cheminement de pensée et le ressenti, d’un tiers. Fini le questionnement permettant la nuance, voire la contradiction, bienvenue. La soumission est de mise par peur d’être banni d’une « communauté » parée de toutes les vertus identitaires, générant un fort sentiment d’existence par l’appartenance. Vive la pensée unique qui muselle l’esprit et fabrique des consommateurs-militants permettant l’expansion des idéologies.

Ce conformisme devient problématique dès lors que l’autre est contraint physiquement ou moralement (soit d’y adhérer soit d’y rester). Le rapport de forces est crucial. Plus l’idéologie est forte, plus elle compromet l’intégrité d’un espace d’expression (la rue, l’école, l’entreprise, la famille, le politique, la justice, les médias, etc). Il devient difficile, voire impossible, d’aller contre le courant dominant qui confisque la parole ou la rend inaudible quand elle ne lui est pas favorable.

Ainsi l’école, dont la mission est d’instruire les enfants et de fabriquer les citoyens de demain, est devenue le terrain d’affrontements d’idéologies contraires (conservateurs versus progressistes ; repentance du passé versus devoir de mémoire, etc.). Les enseignements se font et se défont selon laquelle l’emporte sur les autres.

En outre, fort est de constater que le recul de la liberté d’expression s’accompagne, dans certains cas, d’un cynisme de ceux là-même qui réclament plus de dialogue et de concertation. Dans quel but dialoguer quand les mots ne trouvent aucun écho ? Quand les jeux sont déjà faits ? Une illusion de liberté est, à mon sens, pire que la perte de cette liberté.

La médiation rééquilibre le rapport de forces par l’emploi d’outils divers, au nombre desquels la communication non-violente. Elle propose un réel espace d’échanges amenant à un résultat concret : la co-construction d’une solution satisfaisante à un différend clairement identifié et exprimé. Les médiés s’offrent le temps de s’écouter, de s’entendre, de se comprendre. C’est un préalable indispensable pour cheminer vers l’autre, s’approprier sa vérité pour l’intégrer à la sienne et se retrouver à mi-chemin. N’est-ce pas là la base de la vie en société ? Faire le libre choix sensé de s’entendre pour permettre la coexistence pacifique dans le respect de l’autre ?

Ainsi, la médiation comble les défaillances de l’autorité régulatrice (le politique, le syndicat, le chef d’établissement scolaire, etc.), jouant le rôle d’un corps intermédiaire qui ne dit pas son nom. Elle offre la possibilité de vaincre l’impuissance que crée la confiscation de la parole ou l’absence d’écoute, et de sortir de la spirale de l’acceptation contrainte.

Ainsi, à l’inverse d’une justice tournée vers la réhabilitation du mis en cause, la médiation pénale offre à la partie lésée de faire reconnaître sa qualité de victime, premier pas vers le processus de reconstruction qui peut aller jusqu’au pardon.

L’écoute attentive et le respect qui caractérisent l’espace de médiation sont propices à l’expression d’une parole libre et apaisée, offrant une réelle prise en considération. Il incombe alors au médiateur de préserver cet espace qui est une réelle alternative au recourt à d’autres modes d’expression, souvent emprunts de violence (manifestations, émeutes, pillages). La médiation participe ainsi au jeu démocratique dans notre société. Le délitement de cette dernière (perte ou inversion des valeurs, déliquescence du vouloir vivre ensemble, désintérêt de la chose publique, etc.) invite le médiateur à réfléchir sur la manière dont il peut contribuer plus activement à sa refondation.

Mary Boudinet — « Je suis une juriste passionnée par les enjeux sociétaux de la médiation que je pratique de façon libérale depuis 2021 (référencée auprès du Tribunal administratif de Bordeaux). »

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