Catherine Pautrat : Le glaive, la balance et … l’alternative
par Parole de Médiateurs · 17 janvier 2021
Entretien avec Catherine Pautrat, présidente du tribunal judiciaire de Nanterre
Après l’École nationale de la magistrature dont elle est sortie en 1990, Catherine Pautrat a eu un parcours atypique, riche d’expériences très diverses à des postes de responsabilité exercés au plus haut niveau.
Elle commence sa carrière comme substitut du procureur de la République, puis est nommée à la direction des Affaires civiles et du Sceau en avril 1995 et devient chargée de mission au cabinet du garde des Sceaux, responsable de la protection judiciaire de la jeunesse et de la politique de la ville. En septembre 1997, elle rejoint la direction de l’administration pénitentiaire, au sein de laquelle elle se voit confier plusieurs missions. En juin 2006, elle est détachée pour exercer les fonctions de secrétaire administratif du Conseil supérieur de la magistrature.
À partir de janvier 2011, elle rejoint l’inspection générale des services judiciaires en qualité d’inspecteur général adjoint et pilote la grande réforme du ministère de la Justice, recommandée en 2007 par le Conseil de modernisation des politiques publiques : la création de l’inspection générale de la justice, qui entrera en vigueur le 1er janvier 2017.
Catherine Pautrat est présidente du Tribunal judiciaire de Nanterre depuis juillet 2018. Bien décidée à promouvoir les MARD, elle s’est formée à l’Ifomene.
Intermédiés : de l’inspection générale de la justice à la présidence d’un grand tribunal, est-ce une rupture ou une continuité ?
Catherine Pautrat : les sept années passées à l’inspection m’ont donné l’occasion d’appréhender une approche très transversale de la justice au sein du ministère lui-même, mais aussi dans un cadre interministériel, à l’occasion de missions d’évaluation de politiques publiques. C’est ainsi que dans ce cadre, j’ai toujours analysé la matière judiciaire et évalué de nombreuses politiques mises en œuvre par les juridictions.
J’ai pensé ensuite qu’il était temps de revenir en juridiction. Il était important que tout ce que j’avais acquis dans le cadre de ma carrière puisse servir à relever un nouveau défi. C’est la raison pour laquelle j’ai postulé à un poste de chef de juridiction, mais aussi parce que c’est là que tout se passe !
Quel regard portez-vous sur la mission du juge en ce début de 21e siècle ?
La mission du juge n’a pas changé d’un siècle à l’autre, car il restera toujours celui qui applique la règle de droit. C’est son ADN ; il s’inscrit ainsi dans une mission verticale. En revanche, son
En revanche, son environnement, lui, s’est modifié. Sa mission s’est enrichie pour devenir plus horizontale. Ainsi, son intervention se situe toujours dans le cadre de relations humaines de plus en plus prégnantes, mais également dans un environnement mutant auquel il doit s’adapter.
Trancher le litige en disant le droit ne règle rien si vous n’avez pas résolu le conflit sous-jacent. Le juge est alors l’otage d’un cercle non vertueux et d’une justice que d’aucuns qualifieront de consumériste. Pour illustrer cette approche horizontale, rappelons que le Code de procédure civile a prévu qu’il appartient au juge de concilier les parties. C’est bien son rôle de régulateur social que l’on retrouve dans l’ancienne dénomination de “juge de paix” et dans celle, plus contemporaine, de “juge de proximité”.
Le gain n’est-il pas plus profitable quand on a deux gagnants ? C’est en cela que les MARD sont intéressants, car ils remettent du lien dans les relations sociales en permettant de satisfaire l’intérêt mutuel des parties. D’une logique d’affrontement, on passe à celle d’apaisement.
De plus, on évite l’aléa judiciaire quand bien même les parties sont convaincues d’avoir raison, tout en restaurant la confiance du justiciable en l’associant au règlement du litige, et ce, dans un délai raisonnable.
C’est en cela, comme le disait l’ancien premier président de la Cour de cassation, Guy Canivet, que “la médiation est une conception moderne de la justice”. Et il appartient au juge de promouvoir cette modernité avec les avocats, car sa mission se conçoit aussi sous cet angle complémentaire à la justice verticale.
Le recours aux MARD, notamment à la médiation, est maintenant reconnu et de plus en plus utilisé par les magistrats. Comment expliquez-vous cela ?
Il faut comprendre ce qu’est la médiation pour y avoir recours et voir ce que l’on en attend ; dans quel contexte et pour quelle stratégie ? Depuis longtemps, je défends l’idée que, dans une société en mouvement aux évolutions rapides, un des leviers dont toutes les organisations disposent est l’agilité et la flexibilité, même dans le domaine juridique, par essence pétri de rigidité. Les MARD offrent précisément cette possibilité de s’écarter de l’application rigide du droit et de redonner à l’équité toute la place qu’une norme ne porte pas en elle.
On a besoin dans la justice de demain d’une justice inventive au spectre créateur infini, où les parties trouveront elles-mêmes les réponses à leur conflit. Les MARD se développent parce qu’ils redonnent au justiciable un rôle d’acteur qui ne subit pas l’imperium [le pouvoir absolu, ndlr] de la loi. Il est responsabilisé et placé dans une dynamique confiante. De justiciable, il devient citoyen actif replacé au cœur de la cité [la nation, ndlr]. Il ne s’agit plus d’imposer, mais de l’écouter et de l’associer au choix de la meilleure solution possible pour le règlement de son litige. C’est dans cette logique associative et participative qu’on instaure une “démocratie judiciaire”, dans laquelle le justiciable citoyen prend toute sa place.
Quelles sont les modalités mises en œuvre au tribunal de Nanterre concernant la médiation judiciaire ?
Le recours aux MARD relève pour moi d’une véritable stratégie judiciaire concernant tous les contentieux civils. Il ne s’agit en aucun cas, et surtout pas d’un outil de déstockage qui nous conduirait à un échec assuré en dénaturant la médiation. La médiation n’est pas applicable à toutes les situations. De plus, elle ressort de la volonté tant des parties que de leurs conseils de s’engager dans cette voie.
Si je mets de côté le contentieux familial, la médiation à Nanterre n’a longtemps concerné que la 7e chambre spécialisée en droit de la construction et présidée depuis une dizaine d’années par des magistrats précurseurs, qui ont eu très tôt conscience du potentiel de ce processus.
Depuis deux ans, nous avons monté des groupes de travail pour communiquer sur les pratiques de cette chambre et dupliquer les outils qu’elle avait mis en place au service de tous les magistrats. Cette volonté de capillarité a même été étendue aux référés et au départage prudhommal en lien avec le CPH de Nanterre.
Nous travaillons aussi en étroite collaboration avec le barreau et avons mutualisé des formations magistrats-avocats, organisé des colloques et instauré des rencontres régulières sur cette thématique.
- Nos objectifs communs ont été formalisés dans une convention signée le 29 janvier 2020, portant constitution d’un cercle des modes alternatifs de règlement des différends. Elle réunit tous les acteurs concernés, ainsi que les huissiers et les notaires (médiation patrimoniale), très moteurs en ce domaine et les associations de médiation partenaires, ce qui permettra de mettre en place des outils d’évaluation dans l’arrondissement judiciaire des Hauts-de-Seine.
- Nous avons instauré des permanences d’information tenues par des médiateurs quatre jours par semaine au tribunal pour sensibiliser les personnes engagées dans un procès.
- Des injonctions de rencontrer un médiateur sont délivrées par le juge aux parties.
- Les bulletins de mise en état diffusés aux avocats invitent à la médiation ou à la procédure participative.
- Enfin, un Comité de pilotage interne au tribunal a été mis en place..
Les MARD font bien partie de notre langage, de notre logiciel de pensée et de nos réflexes. Nous avons réussi l’appropriation collective qui doit être entretenue. Les chiffres sont parlants puisque nous avons doublé le nombre de médiations ordonnées entre 2018 et 2019 et créé une dynamique en matière de référés.
Notre prochain objectif, en lien avec le barreau, est de continuer dans cet élan et de créer la même synergie autour de la procédure participative, autre levier essentiel de cette justice complémentaire et citoyenne.
La crise sanitaire du Covid-19 a révélé l’utilité de l’outil numérique dans les modes de communication, notamment la visioconférence. Quel est votre point de vue sur cet outil par rapport au processus de médiation ?
La crise sanitaire que nous traversons a démontré qu’aucun obstacle technique n’était opposable à la médiation même si le présentiel rend les choses plus faciles. Les médiations ont continué à être organisées en visioconférence et ont donné de bons résultats également.
Pendant la première période de confinement, les huissiers ont développé une plateforme dédiée, démontrant ainsi que le processus pouvait fonctionner de manière efficace.
L’essentiel était, dans ce contexte d’isolement et de retrait de la vie normale, de conserver du lien social à travers cette technologie qui ainsi s’est avérée utile et opérationnelle.
Le JAF [juge aux affaires familiales, ndlr] dispose désormais de pouvoirs élargis et peut à tout moment désigner un médiateur, y compris dans la décision statuant sur les modalités de l’exercice de l’autorité parentale. Quelle est l’approche des JAF du tribunal judiciaire de Nanterre par rapport à la médiation familiale ?
Ces nouvelles dispositions permettent de restaurer la communication dans un couple à tout moment de la procédure, notamment dans l’intérêt de l’enfant.
La médiation familiale s’est développée depuis quelques années, donnant lieu à une convention signée le 1er octobre 2014 entre le TGI [tribunal de grande instance, ndlr], le CDAD [conseil départemental d’accès au droit, ndlr] et les associations de médiation familiale du département. Une charte signée le 10 octobre 2018 entre le barreau, la juridiction et l’USMF 92 [union des services de médiation familiale des Hauts-de-Seine, ndlr] prend acte de l’engagement du tribunal d’orienter les justiciables vers la médiation familiale avant la première audience ou pendant celle-ci, voire à son issue. Les accords parentaux sont homologués par le JAF.
Toutefois, une chute de 35% (261 médiations judiciaires en 2018 contre 401 en 2016) du nombre de médiations familiales a été constatée ces trois dernières années, suite à des problèmes d’effectifs et de moyens.
De plus, en raison de la déjudiciarisation du consentement mutuel, les dossiers dont le tribunal est saisi présentent systématiquement un caractère conflictuel, rendant moins aisé le recours à la médiation.
Enfin, les cas d’allégations de violences conjugales et d’emprise, qui donnent lieu à un nombre plus important de saisines du JAF, ne permettent pas de recourir à la médiation.
Pour enrayer cette tendance, un JAF référent a été récemment désigné au sein du pôle famille, en vue de promouvoir à nouveau cette pratique, tandis que tous les cabinets ont accueilli l’année dernière un stagiaire du diplôme d’État de médiateur familial de l’université de Paris X.
Le tribunal a également été précurseur dans le développement de la méditation patrimoniale, un médiateur notaire y tenant une permanence d’une journée par mois. En ce domaine, le processus de médiation est engagé en général en parallèle de la mise en état.
Que pensez-vous de la tentative de médiation obligatoire instaurée en matière familiale à titre expérimental dans onze juridictions pilotes ?
Je suis favorable par principe aux expérimentations qui sont toujours des tests intéressants de préfiguration ou au contraire d’abandon d’orientations qui ne sont pas toujours modélisables. Il m’est difficile toutefois de tirer des conclusions de cette pratique, n’ayant pas eu connaissance des enseignements de cette expérience.
Les listes de médiateurs inscrits auprès de chaque cour d’appel, si elles sont nécessaires et permettent aux médiateurs inscrits d’être référencés, ne constituent pas pour autant un critère suffisant pour être désigné. Sur quels paramètres le magistrat prescripteur s’appuie-t-il pour désigner un médiateur ?
Lorsque nous avons développé la médiation dans la juridiction, les magistrats se sont appuyés sur l’expérience de leurs collègues de la 7e chambre qui avaient déjà eu recours à des médiateurs dont ils ont pu recommander les compétences et le savoir-faire. Le “bouche à oreille” joue beaucoup, c’est un fait. Les noms circulent entre les magistrats qui se conseillent entre eux.
Que l’on ait recourt à une association qui pourra proposer au magistrat un ou plusieurs professionnels adaptés à la situation, ou que l’on choisisse directement dans la liste des médiateurs inscrits auprès de la cour d’appel de Versailles ou Paris, il y a toujours une part d’aléa qu’il faut accepter de prendre.
En matière familiale, y a-t-il des critères spécifiques ?
Dans les Hauts-de-Seine, l’USMF 92 a mis en place une répartition géographique des médiateurs. En fonction de la ville où habitent ou travaillent les parents, le magistrat désigne une association de médiation.
Parfois, quand les parties ont déjà engagé une démarche (seules ou après passage à la permanence tenue par plusieurs associations par roulement), les JAF suivent la demande des parties de désigner ce médiateur.
Je suis évidemment favorable à la désignation de médiateurs familiaux diplômés d’État auxquels l’association précitée fait appel, ce qui est pour nous un label de qualité et un gage de compétence sécurisant pour le magistrat et pour le justiciable.
Êtes-vous favorable à la création d’une profession régie par un statut du médiateur, comme nous y invitent les recommandations de la lettre d’orientation pour l’amélioration de la qualité de la médiation, issue des travaux du collectif Médiation 21 ?
J’ai toujours préféré la logique des petits pas progressifs et constructifs qui permettent de stabiliser les bases d’une politique, plutôt que les grandes avancées rapides et non préparées qui occasionnent de nombreuses incompréhensions et crispations. Professionnaliser l’intervention du médiateur est indispensable pour la crédibiliser davantage, donner des garanties sur sa compétence et sa formation, et favoriser la confiance des magistrats sur la qualité de son intervention. J’ai l’habitude de dire qu’on ne naît pas médiateur, on se prépare à le devenir. . Cette crédibilisation découle de son statut, de sa représentation, de sa formation, de son éthique et de sa déontologie. Il faut ordonner et structurer ces fondamentaux de manière lisible et cohérente, afin de donner du sens général à l’organisation de la médiation.
Le Livre blanc a ce mérite d’avoir mis sur la table les fondamentaux à réunir pour avoir ce socle de garanties permettant de fiabiliser au maximum le dispositif de la médiation. Si on ne dispose pas d’un socle structurant minimum sur ce qu’est la médiation, ce que sont les médiateurs, comment ils s’organisent et quelles sont leurs règles de fonctionnement, on risque de compromettre le développement de la médiation.
Quoiqu’il en soit, je demeure convaincue que la médiation, encore trop peu développée, est un processus incontournable, car il repose sur une approche citoyenne et associative de la justice inscrite dans le sens de l’Histoire. Et elle n’est pas seule, conciliation et procédure participative complètent l’édifice de l’amiable qui a devant lui un avenir prometteur. Car c’est aussi un des enjeux de la justice de demain que de réconcilier le justiciable avec sa justice, en laquelle il doit retrouver confiance.
Propos recueillis par Marion de NERVO et Patrice COSTER
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