Brique par brique… le peacebuilding

Construire, consolider et rétablir la paix, cela semble être aujourd’hui improbable. Et pourtant, même si elle est loin d’être simple, l’équation est tout à fait réalisable… Brigitte Kehrer, infatigable émissaire internationale pour “réconcilier les contraires”, nous le prouve.

Depuis une dizaine d’années, les instances internationales, multilatérales et bilatérales ont fait appel à des médiateurs aguerris connaissant parfaitement les procédures de médiation internationales et interculturelles dans leur processus de peacebuilding (construction de la paix) pour les pays en voie de développement en situation de post-conflit ou de prévention de conflit. Ces médiateurs ont été formés à aider les parties en conflit à trouver leur propre solution, et non à la leur souffler ou la leur imposer, comme le pratiquait autrefois le représentant du pays colonisateur ou de tutelle. Les mandats de peacebuilding requièrent donc des médiateurs professionnels ayant été formés à cet effet.

Autrefois, trop souvent, le métier de médiateur était un peu improvisé par des personnes de bonne volonté qui faisaient des propositions de résolution de conflits, sans bien dérouler tout le processus de médiation qui passe par plusieurs étapes de transformation du conflit. Dont celle, capitale, de la restitution des sentiments et du ressenti des parties au conflit et de la neutralité.

Avec la professionnalisation du métier de médiateur, les résultats positifs se sont vite fait sentir. La première étape est de créer un terrain de discussion confidentiel et neutre, de ne pas décider pour les parties en conflit, mais de les aider à trouver une solution satisfaisante, originale, créative, et qui sera à même de résoudre leur conflit et de rétablir des relations durables.

Dans la terminologie internationale des Nations unies et des coopérations bilatérales, voici ce qu’on entend par peacebuilding ou construction de la paix.

 Peacebuilding : kezako ?

Le peacebuilding est la promotion de mesures institutionnelles et socioéconomiques sur le plan local, national et international visant à enrayer les causes latentes d’un conflit et à transformer la dynamique du conflit en dynamique de paix. Par exemple, cultiver un champ ensemble, en association, et en récolter les bénéfices de manière commune et équitable pour des groupements ou des régions ennemis. Le peacebuilding est, de fait, le processus et la mesure de reconstruction de la paix. Il inclut également des efforts effectués avant, pendant et après une guerre. Il s’appuie sur les constructeurs de la paix sur place, soit la société civile. Les mesures de peacebuilding s’adressent aux facteurs principaux sous-tendant les causes du conflit, leurs sources et leurs contradictions : elles analysent les piliers du conflit et la capacité de l’État, de la société et des parties en conflit à le gérer de manière constructive, par des moyens pacifiques, en mettant sur pied des infrastructures pour la paix. Cela inclut des mesures à moyen et à long terme visant à établir des mécanismes de gestion de conflit pacifique, incluant la médiation.

Dans son ouvrage Building Peace : sustainable reconciliation in divided societies [i.e. “Construire la paix, de manière durable dans des sociétés divisées”], le théoricien américain John Paul Lederach précise : “La construction de la paix est comprise comme un concept global qui comprend, génère et soutient la totalité des processus, approches et étapes nécessaires pour transformer un conflit vers une paix durable et le rétablissement des relations interpersonnelles. Ainsi, le terme inclut un large spectre d’activités qui précèdent et suivent les accords formels de paix. Métaphoriquement, la paix est considérée non pas comme un moment dans le temps ou comme une condition, mais comme une dynamique et une construction sociale.”

Quant à la cellule de soutien à la médiation du Département des affaires politiques des Nations unies (Mediation Support Unit UN-DPA), elle définit ainsi le peacebuilding : “La construction de la paix implique un large train de mesures visant à réduire le risque de redémarrage du conflit. Il renforce drastiquement toutes les capacités du pays en conflit à tous les échelons de la société.” Texte signé et accepté par le Secrétaire général de l’ONU en 2007.

L’exemple de Madagascar : trop de partis tuent les partis  

À Antananarive, le processus de préparation des élections et les médiations entre les quinze partis politiques, dans le but d’en réduire le nombre à un tiers – selon le vœu du gouvernement malgache intérimaire – avait pour objectif la démocratisation du pays. Passer de quinze à cinq partis politiques maximum, viables et représentatifs n’était pas de tout repos !

Les Nations unies ont alors proposé sur place de faire appel à trois médiateurs, qui ont participé à la discussion entre les partis ayant un programme similaire mais venant de régions différentes, et des partis venant de même région mais avec des intérêts économiques ou sociaux différents.

J’ai eu la chance d’être un de ces trois médiateurs. J’ai pu appliquer ce que nous avions appris pour effectuer des médiations sociales, culturelles, commerciales ou de voisinage, à savoir le déroulement, entre différents groupes à caractère similaire mais pas semblable, de traverser et transformer le conflit en plusieurs étapes distinctes dans la médiation, afin de trouver un accord satisfaisant pour eux et représentatif de leurs aspirations. Et cela en tenant compte de leurs craintes d’être trahis ou peu/mal représentés par des ethnies différentes, des classes sociales différentes, des métiers différents ou des régions différentes. En laissant chaque groupe s’exprimer et s’écouter, reformuler et entendre les craintes et les intérêts de l’autre, tout à coup leurs besoins devenaient communs et leur objectif global de contribuer au bon développement démocratique de leur pays apparaissait évident.

Nous avons parcouru les étapes entre la définition du conflit, l’expression des sentiments de chacun, la clarification de leurs besoins, intérêts, demandes et priorités et enfin, un brainstorming afin de trouver des dénominateurs communs permettant de regrouper les trois groupes qui faisaient partie de ma médiation en un seul parti crédible et solide, selon leurs valeurs à eux, bien entendu. Puis, nous avons listé toutes leurs propositions et leurs rêves… pour finalement se mettre d’accord sur quelques-uns qui emportaient l’assentiment de tous. Enfin, nous avons également refait une médiation pour voter et choisir celui qui les représenterait le mieux à la tête du parti puis de l’État, selon leurs critères propres établis ensemble, en faisant accepter l’idée que certains devaient se retirer et passer la main, avec des garanties de démocratie directe au niveau local…

Au bout de cinq jours entiers de médiation, de négociation et de palabres (de 9 h à minuit !), nous sommes parvenus à un résultat. Il y a eu des rires et de multiples “engueulades”, mais aussi des moments de surprise quand les groupes « opposés » se rendaient compte qu’au fond, ils voulaient la même chose.

Et, un peu comme dans Astérix, la médiation ne pouvait pas se terminer autrement que par un grand festin et des chants jusqu’à l’aube, une fois les accords signés.

Par Brigitte Kehrer

Brigitte Kehrer est médiatrice internationale accréditée et assermentée, United Nations Mediation Support Unit/DPA, et PNUD Nations unies, Union européenne, FED (Fond Européen de Développement, Paris CMAP, Londres CEDR)

“La Médiation : un nouveau projet de société ? Se réconcilier avec ses contraires”, Brigitte Kehrer, éd. Dervy, fév. 2019, 272 p., 20 €.  

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