Notre cerveau aime-t-il la médiation ?

Notre nouvelle rubrique autour de la recherche a pour objectif de vous tenir informés de toutes les découvertes, analyses et avancées autour des sciences comportementales, cognitives et sociales. Un médiateur averti en vaut deux, dirait l’adage ! Cette fois-ci, nous vous embarquons à la découverte de notre cerveau et de son comportement face au conflit…

Pour esquisser le portrait de l’être humain social en conflit et l’étudier, le comprendre, trois réalités fondamentales apparaissent comme indissociables : le cognitif, l’émotionnel, le comportemental, autrement dit les dimensions psychiques que sont perception, pensée, émotion, volonté, comportement. Des dimensions psychiques qui façonnent l’image que nous avons de nous-mêmes et de l’autre, de notre insertion et interdépendance dans les réalités du monde et de l’attente qui en résulte. Et justement, les neurosciences nous expliquent comment nous réussissons si bien à fabriquer des conflits (a priori, interprétations, malentendus… jusqu’à l’escalade), mais aussi à les gérer ou les éviter.

La puissance exceptionnelle du cerveau humain

Le cerveau possède un certain nombre de dispositifs pour résoudre le conflit. En effet, toutes nos perceptions sont traitées et régulées par divers processus cérébraux, qui permettent de savoir comment le cerveau identifie et élabore le conflit et comment il influence nos réactions face à ce dernier. Autrement dit, comment il gouverne nos comportements.

Nous connaissons la représentation symbolique du cerveau organisé en trois niveaux hiérarchiques : les systèmes reptilien (survie), limbique (émotions) et néocortical (réflexion et cognition). Notre cerveau possède des centaines de milliards de câbles interconnectés et nos neurones déclenchent des millions de connexions chaque seconde. Or nous avons encore tendance à situer le conflit en dehors de nous, comme une réalité extérieure, observable, en omettant que le conflit se crée en nous, s’élabore en nous, escalade et s’épuise en nous.

Des expériences menées grâce aux techniques de neuro-imagerie fonctionnelle ont approfondi la connaissance de l’architecture des aires du cerveau et leur connectivité. Les mesures réalisées grâce à l’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMF) permettent d’évaluer in vivo l’activité des aires du cerveau en détectant les changements locaux de flux sanguin.

Ainsi, une recherche randomisée et contrôlée, utilisant les techniques IRMF, a été menée par les chercheurs du Centre suisse des sciences affectives de l’université de Genève (1). Les premiers résultats ont été publiés dans la revue Cortex en juillet dernier, démontrant par l’identification de la signature neurobiologique les avantages d’une médiation dans le cas de conflits de couples.

L’impact de la médiation sur la relation de couple

Lors de tests sur les fondements biologiques de la relation amoureuse, les études par neuro-imagerie ont montré une activité accrue dans les régions centrales du système de récompense dopaminergique associé au sentiment de plaisir et de motivation, lors de la visualisation sur photo de son propre partenaire.

On ignorait jusqu’à présent l’impact que pouvait avoir un conflit de couple, ainsi que celui de la médiation menée par un tiers sur cette activation. Pour mener à bien l’expérience, les chercheurs ont sélectionné 36 couples hétérosexuels (pour des raisons de statistiques et de comparaison avec d’autres études), monogames et en relation depuis au moins un an. Une liste de 15 sujets standards qui alimentent le plus souvent les conflits entre partenaires (beaux-parents, sexualité, finances, tâches ménagères, temps passé ensemble, etc.) leur a été proposée. Les participants ont coché les points d’accroche qui les concernaient. Ensuite, ils ont été invités par les chercheurs à discuter entre eux sur un des thèmes sélectionnés. Certains ont choisi un thème commun. D’autres ont abordé un sujet considéré comme conflictuel par l’un, mais pas par l’autre. Ils avaient le droit de changer de sujet au cours de l’entretien. En général, le couple était un peu gêné durant les dix premières minutes, mais après, la discussion se déroulait avec naturel pour déboucher immanquablement sur un conflit.

La séance a duré une heure, suivie par un médiateur. Le groupe étant scindé en deux, dans la moitié des cas (18 couples), le médiateur est intervenu activement dans la dispute. Dans l’autre, il est resté passif. Avant et après le conflit, les participants ont rempli un questionnaire visant à mesurer leur état affectif avant de passer dans un appareil à neuro-imagerie, pour mesurer l’activité de leur cerveau à la vue des photos du partenaire amoureux et de celles d’une personne inconnue mais correspondant aux standards du sexe, de l’âge et du niveau d’attractivité. Les données provenant des questionnaires indiquent que les couples qui ont bénéficié de l’intervention du médiateur sont devenus plus aptes à résoudre des conflits, plus satisfaits du contenu et du déroulement de la discussion et ont eu moins de désaccords résiduels. Quant aux résultats des tests de neuro-imagerie, ceux effectués avant le conflit reproduisent les études antérieures sur la relation amoureuse, montrant un schéma d’activation des circuits de récompense et, après le conflit, de désactivation générale.

En comparant les deux groupes, les chercheurs ont constaté que le premier (celui qui a bénéficié de la médiation) avait tendance à avoir, après le conflit, une plus grande activation du noyau accumbens, région-clé du cerveau dans le circuit de la récompense et… de la dépendance aux drogues. La satisfaction du premier groupe, après la résolution du conflit, est plus nette quand ils regardent une photo de leur partenaire par rapport à celle d’une personne inconnue.

Ces premiers résultats suggèrent donc que la médiation a un impact significatif et positif sur les couples, tant au niveau comportemental que neuronal. Cette signature neurobiologique de la relation amoureuse est très intéressante, car elle ne peut être manipulée comme pourraient l’être, avec le risque de biais cognitifs, des réponses à un questionnaire.

Il serait intéressant, pour les futures recherches, de coder les expressions faciales et le comportement des personnes pour diviser ainsi l’entretien d’une heure en épisodes distincts. Il serait alors possible d’évaluer si et comment des épisodes spécifiques du conflit influencent les mesures des résultats au niveau neuronal et comportemental.

Ces premiers résultats encouragent les chercheurs à poursuivre leurs travaux en ciblant, cette fois-ci, des conflits d’une autre nature. À suivre…

Sylvie Mischo-Fleury

Dessins : Éric GRELET

(1) Rafi H., Bogacz F., Santer D. & Klimecki O. (2020). Impact of couple conflict and mediation on how romantic partners are seen : an fMRI study.

https://www.journals.elsevier.com/cortex

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