Quand cohabiter avec ses voisins tourne au cauchemar

On ne choisit pas ses voisins. Aussi, quand des problèmes surgissent, ils sont vite perçus comme une agression et virent parfois au cauchemar. Intrusion dans la vie privée, équilibre psychique perturbé… La médiation de voisinage va devoir relever ses manches pour créer du lien entre des personnes étrangères les unes aux autres.

« Qui jette des orties chez son voisin les verra pousser dans son jardin », assure le dicton. Traduction : tout voisin piqué au vif piquera à son tour. Pas question de subir ces incivilités sans rien dire ou faire ! Première grande difficulté inhérente à la cohabitation : le voisin est généralement un “étranger”, un “autre”, auquel on n’a pas forcément envie d’avoir affaire, mais avec lequel il faut cependant vivre. S’il est tranquille et avenant, tant mieux. Dans le cas contraire, le conflit guette. Mais pour quels motifs ?

Les troubles de voisinage traités en médiation ont à peu près les mêmes origines en ville et à la campagne. En ville, le bruit est la première cause de trouble avancée [voir l’encadré sur Paris Habitat]. La vie en immeuble rend la cohabitation difficile ; les gens ne supportent pas d’entendre ce que font leurs voisins (enfants qui courent, musique, bruits de cuisine, fêtes, etc.) et ont tendance à penser que ces sans-gêne du dessus le font exprès. À la campagne, le bruit est également mis en avant : chien qui aboie, chant matinal du coq, jusqu’à ces damnées poules qui caquettent du matin au soir (eh oui, il existe d’ailleurs toute une législation concernant le poulailler !). De même, la fréquence d’utilisation d’un barbecue, la hauteur d’une haie, des arbres non élagués sont autant de plaintes reçues par les services municipaux.

Mais tout médiateur le sait : la première raison de discorde évoquée en médiation est l’arbre qui cache la forêt. Le bruit n’est souvent qu’un prétexte. Petit à petit, durant le processus de médiation, d’autres réalités vont émerger, plus difficiles à admettre chez certains médiés. Ainsi, à la campagne, les problèmes de voisinage semblent régulièrement liés à de vieilles histoires de famille jamais vraiment réglées : indivisions, successions mal vécues, héritages insatisfaisants. Méfiance et rancœur s’instaurent de l’autre côté de la rue, face à ce nouveau voisin qui emménage sur le terrain dont on aurait aimé hériter…

Autre catalyseur, la profonde solitude et l’isolement social des personnes âgées. C’est avant tout leur besoin d’exister, d’attirer l’attention qui les incite à se plaindre de leurs voisins. S’ajoute à cela le fait que nos aînés habitent en général depuis très longtemps un même lieu et supportent très mal la disparition d’un voisin (retraite, décès) auquel ils étaient habitués. Triple peine pour eux : privation d’un ami, perte de leur zone de confort et peur du nouvel arrivant.

Tensions et idées reçues

Oui, la peur du voisin existe. Peut-être encore plus dans les logements sociaux – comme ceux de Paris Habitat – où les locataires s’installent avec l’idée de rester longtemps, voire pour toujours. Cet appartement leur a été attribué, ils le garderont. Parce qu’il n’a pas été facile à obtenir et qu’ils n’ont guère d’autre choix. Alors, si d’aventure le premier contact avec le petit jeune du 4e, fan d’électro-pop, se passe mal et que l’un des protagonistes se sent agressé, un sentiment d’insécurité naît inévitablement.

Le voisin dérange, aussi bien au sens physique que psychologique. S’il ose frapper à la porte pour exprimer son mécontentement, la sécurité du cocon s’en trouve fortement perturbée ; c’est une intrusion, le ton monte, le rapport de force grandit et avec lui, l’escalade dans le conflit. Les professionnels œuvrant en médiation de voisinage en témoignent : les consultations médicales, la perte de sommeil, la prise de cachets, la somatisation sont des souffrances récurrentes, exprimées en particulier lors des rendez-vous en aparté.

Enfin, on retrouve fréquemment des problèmes dus aux différences culturelles et d’origine en médiation de voisinage. “Je travaillais sur une médiation de voisinage entre une femme originaire d’Europe de l’Est et une autre originaire d’Afrique, raconte une médiatrice professionnelle. Se plaignant du bruit causé par sa voisine, la première affirme subitement qu’en Afrique, les mœurs sont libérales, la polygamie de rigueur, et que sa voisine ne se gêne pas pour recevoir des amants tous les jours. L’Africaine était sidérée qu’une telle idée préconçue puisse être véhiculée à son encontre. Il a fallu beaucoup travailler sur cette fausse perception, et la médiation a finalement réussi.”

Dans de tels cas, le travail du médiateur s’apparente notamment à de la médiation interculturelle : il doit alors tout particulièrement veiller à ce que chaque médié se débarrasse des représentations qu’il a de l’origine de l’autre, ce voisin qui “n’est pas comme moi”. Aucune bascule vers une entente ou un compromis ne semble possible sans que ces préjugés culturels ne soient dépassés.

Il faut com-mu-ni-quer !

Une chose est sûre, la médiation de voisinage a de beaux jours devant elle. Tant de voisins sont tenus de “vivre ensemble”, comme un couple qui ne s’entend plus, mais qui ne divorce pas ! Sa force est qu’elle crée la rencontre entre deux personnes qui cohabitent, mais ne se connaissent pas. Elle fait entrevoir le vrai visage de chacun, leur vraie vie, leurs préoccupations, au-delà des idées reçues des uns sur les autres. Elle permet de sortir de l’imaginaire pour rentrer dans le réel. “Et si le conflit n’est pas encore allé trop loin, elle peut le résoudre avec une chose aussi simple que la communication, conclut un médiateur. À ce détail près, nuance-t-il, que la communication n’est pas aussi simple que cela…” 

Anne Grégoire

Ancienne responsable marketing en institut d’études de marchés et sondages d’opinions, Anne Grégoire a choisi de devenir médiatrice afin de continuer à comprendre la société et ses concitoyens.
Elle est diplômée de l’Ifomene.

Paris habitat et la médiation de voisinage en quelques données

  • Paris Habitat est le premier bailleur social de la ville de Paris.
  • Il gère un parc locatif d’environ 125 000 logements
    et loge 1 Parisien sur 10.
  • Il compte 1200 gardiens d’immeuble.
  • 23 agences le représentent dans Paris, avec 5 à 6 chargés de gestion locative par agence. Ce sont ces derniers qui repèrent les cas de mésentente nécessitant une médiation.
  • Paris Habitat a une responsabilité légale et contractuelle vis-à-vis de ses locataires : leur assurer la jouissance paisible de leur logement. Les locataires ont pour obligation de gérer leur logement raisonnablement.
  • Soucieux de remplir sa mission d’intérêt général, Paris Habitat propose un service de médiation gratuit, dès lors qu’un trouble de voisinage est avéré entre deux locataires et pèse sur l’atmosphère de la communauté environnante. Pour cela, Paris Habitat fait appel à des médiateurs externes depuis 2014. Le bailleur tient particulièrement à cette externalisation, afin d’éviter tout parti-pris.
  • Le bruit est la première et principale cause de désagrément évoquée par les locataires.
  • Entre août 2017 et août 2018, 79 dossiers concernant des troubles de voisinage ont fait l’objet d’une médiation.
  • 39 % des médiations se sont soldées par une réussite dans l’ensemble des directions territoriales. Par réussite, on entend un apaisement durable de la relation entre les deux parties, sans reprise des hostilités.
  • 16 % supplémentaires des médiations ont vu la relation s’améliorer, mais sans toutefois s’apaiser complétement..
  • 8 % des médiations ont échoué.

Merci à Karine Mehler et Nathalie Gildas, toutes les deux médiatrices de voisinage, ainsi qu’à Bernard Rongère et Joëlle Bernard de Paris Habitat, pour leurs précieux témoignages lors de cette enquête.

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