7 conseils pour sortir d’un conflit comme Didier Deschamps et Karim Benzema

Didier Deschamps a créé l’évènement le 18 mai dernier en rappelant Karim Benzema en Equipe de France pour l’Euro de Football qui doit se tenir à partir du 11 juin 2021, alors qu’ils étaient pour le moins brouillés depuis 5 ans. Sans révéler la teneur de leurs échanges, les deux hommes ont simplement indiqué avoir longuement discuté avant de pouvoir ouvrir cette nouvelle page. Réputés irréconciliables, ils ont déjoué les pronostics. Comment vous inspirer de cette expérience pour sortir d’un conflit qui vous empoisonne ?

Si vous avez raté les épisodes précédents

Karim Benzema, 33 ans, est attaquant au Real Madrid depuis 2009. Notamment vainqueur de la Ligue des Champions à quatre reprises, il avait été sélectionné 81 fois en Équipe de France avant que sa carrière internationale ne connaisse un brusque coup d’arrêt après sa mise en examenen 2015 dans une sombre affaire de « sextape » concernant un autre joueur français, Mathieu Valbuena[1].

A la suite de ce scandale, il était écarté de la sélection pour l’Euro 2016 et Éric Cantona taclait le sélectionneur, Didier Deschamps, en questionnant un lien entre cette mise sur la touchede Benzema et ses origines.

Interrogé par la presse espagnole, l’intéressé avait alors rejeté l’idée d’une accusation directe contre Didier Deschamps, mais déclaré que ce dernier avait « cédé sous la pression d’une partie raciste de la France »[2]. Quelques jours plus tard, la maison de Didier Deschamps était taguée du mot « raciste ». Meurtri par ces évènements, le capitaine de France 98 dira plus tard : «Il y a un mot et les conséquences. Depuis ce jour-là je ne suis plus le même (…) ça a été très violent»[3].

Depuis lors, le madrilène n’avait plus été sélectionné en Équipe de France et semblait condamné à un éternel purgatoire, malgré des performances remarquées en club… De son côté, l’Équipe de France enchaînait les succès, dont la coupe du Monde victorieuse de 2018, et ne manque, à l’approche de l’Euro 2021, ni de talents ni de panache, avec une attaque particulièrement étoffée, emmenée par Kylian M’Bappé et Antoine Griezmann.

C’est donc le coup de théâtre, mardi 18 mai, lorsque Didier Deschamps annonce son grand retour dans la liste des joueurs pour l’Euro, éclipsant même le Covid pour quelques heures : d’aucuns y ont ainsi vu une véritable « réconciliation nationale », le signe qu’on peut changer d’avis sans se renier et finalement un message d’espoir pour la jeunesse[4].

Cette retournée acrobatique montre un chemin intéressant de réconciliation, alors que les observateurs la jugeaient impossible. Pourquoi pas vous ? Voici quelques conseils inspirés par les éléments qu’ils ont révélés dans la presse[5].

  1. Ne lâchez pas l’affaire : acceptez que le temps fasse son œuvre

5 ans se sont écoulés entre la polémique et la réintégration de Karim Benzema au groupe France.

Par rapport à la Guerre de Cent Ans, c’est peu, mais à l’échelle d’une carrière de joueur de football, c’est une éternité : plus le temps avançait, moins grandes étaient les chances que Karim Benzema soit toujours à son plus haut niveau, pouvant rendre un jour irréversible sa non-sélection.

Le facteur temps jouait donc apparemment contre la résolution du conflit et pouvait au contraire en être un carburant.

Pourtant, cette période de temps avait parallèlement pour vertu de laisser aux protagonistes la possibilité de prendre du recul, d’éloigner la polémique et de gagner en maturité. Selon Didier Deschamps : « Les choses ont changé. Moi et certainement du côté de Karim bien évidemment ».

Pourquoi avoir attendu si longtemps ? Didier Deschamps répond à l’interrogation du journaliste : « (…) Est-ce que c’était faisable ou réalisable avant ? Si ça ne s’est pas fait, c’est que les conditions n’étaient pas réunies ».

Comme toute relation, le conflit connaît une évolution naturelle, dont on évoque le plus souvent la période d’escalade, mais qui peut aussi connaître une période de « mûrissement » propice à une démarche de résolution amiable : les parties commencent à percevoir l’impasse comme douloureuse voire insupportable, une issue leur semble à nouveau viable et elles sont prêtes sur le plan affectif[6].

L’enjeu est d’identifier le bon moment, ni trop tôt, ni lorsque le pourrissement s’est installé.

Parfois, le moment n’est pas encore venu mais cela ne signifie pas qu’il ne viendra jamais. On peut alors agir sur les aspects dont on a la maîtrise.

Benzema confie : « J’ai travaillé encore plus à des moments où tout le monde me disait : « Allez arrête, c’est mort ».

  1. Cultivez vos amis communs

Le football européen est certes un petit milieu mais on ne peut s’empêcher de remarquer la particulière proximité des deux protagonistes avec Zinedine Zidane, acolyte de Deschamps lors de la coupe du Monde 98 et (futur ex-) entraîneur de Benzema au Real Madrid, qui ne tarit jamais d’éloges sur son poulain.

Même si le mythique n°10 se défend d’avoir été le meneur de jeu du rapprochement[7], l’existence d’un « proche » commun n’est jamais anodine car cela maintient un lien affectif et parfois, il suffit d’une pichenette.

La chose est toutefois à double tranchant : les proches peuvent aussi encourager le conflit, comme un supporter en tribune… Ils ne doivent donc pas être négligés dans le processus[8].

  1. Cherchez les occasions

Mariage, naissance, réunion de copropriété, Euro 2021…

Nombreuses peuvent être les situations au cours desquelles vous êtes amenés à retrouver l’objet de votre courroux, et ce jusqu’à une audience devant le juge.

Souvent perçu comme une épreuve que l’on appréhende, l’évènement peut aussi être la fenêtre de tir du renouveau si la situation est mûre, ce qui peut être l’occasion de le tester.

  1. Parlez-vous… et gardez vos échanges confidentiels

Selon les entretiens des deux intéressés accordés à la presse, c’est un long processus qui a permis ce résultat avec en point d’orgue une rencontre « en présentiel » – comme on dit de nos jours : « Il y a eu des étapes importantes. Une très importante. On s’est vus. On a discuté longuement (…) j’en avais besoin, il en avait besoin » (D. Deschamps), « On s’est parlé (…) on a beaucoup discuté et on s’est dit beaucoup de choses. Des choses qu’on avait à se dire depuis un bon bout de temps. C’était une bonne explication, avec des mots importants » (K. Benzema).

Didier Deschamps n’a pas caché que rien n’aurait été possible sans l’envie tout d’abord, beaucoup de réflexion et la discussion directe qui s’est avérée essentielle.

Toutefois, comme ils l’ont dit sans ambages, on n’en saura pas plus sur le fond… et cela ne nous regarde pas.

Un conflit de mots doit se régler par des mots. Garder les échanges confidentiels est effectivement une bonne pratique pour plusieurs raisons : cela préserve la confiance avant d’entamer les échanges, favorise une parole ouverte et évite le rebond du conflit avec l’intervention ultérieure de tiers, surtout dans un contexte médiatisé. La confidentialité des échanges est un principe cardinal par exemple en médiation.

  1. Faites revivre la partie heureuse de votre histoire

Benzema confie dans son entretien à « l’Équipe » à propos de son entrevue avec Deschamps : « Je me suis toujours bien entendu avec lui et, au bout de trois minutes, tout était redevenu comme avant. Alors que ça faisait plus de cinq ans qu’on ne s’était pas croisés ».

Même si la charge affective est plus intense, on trouve plus facilement les ressorts pour sortir d’un conflit lorsque les parties ont une histoire passée heureuse, que dans un différend entre inconnus par exemple.

Se demander pourquoi on s’appréciait, se remémorer les bons souvenirs, cela ne signifie pas effacer les causes du conflit mais simplement faire réapparaître le lien distendu qui permettra d’atteindre la surface de réparation de la relation.

  1. Focalisez sur les intérêts communs

Nos 66 millions de sélectionneurs-procureurs pourront discuter à l’infini de l’opportunité du retour de Karim Benzema dans le groupe.

Il n’en reste pas moins que Didier Deschamps et Karim Benzema ont un but commun : gagner de nouveaux titres avec l’Équipe de France, comme le premier l’a immédiatement affirmé : « Le plus important, c’est aujourd’hui et demain ».

Pour le joueur, c’est l’occasion de pouvoir gagner les titres internationaux qui manquent à son palmarès ; pour le sélectionneur, c’est un tour de plus dans son sac, qui commence d’ailleurs par l’annonce du 18 mai, une surprise aussi pour les équipes adverses qui n’avaient pas anticipé la présence de cet indéniable virtuose.

Les intérêts communs sont souvent essentiels : lorsqu’ils sont connus (enfants, avenir d’une entreprise), ils peuvent représenter une motivation pour chercher des solutions mais plus généralement, la richesse de la résolution amiable des conflits consiste à chercher les intérêts cachés derrière les positions, et à identifier l’éventuel terrain d’entente où se trouvent les solutions de bénéfice mutuel, comme dans la méthode de « négociation raisonnée de Harvard »[9].

  1. Transformez le conflit : demandez-vous ce qu’il vous a apporté

Le conflit est-il toujours négatif ?

Karim Benzema explique en quoi la situation l’a fait évoluer : « C’était difficile, surtout au début. Après je me suis vite dit que c’était un obstacle qui faisait partie de ma carrière. C’était difficile car, à chaque rassemblement international, 25 joueurs sur 26 partaient en sélection. Et moi, je m’entraînais avec la réserve, avec les jeunes. Mais je ne pouvais pas baisser les bras (…). C’est dans ces moments-là que je suis devenu encore plus fort mentalement, physiquement. Je me suis mis à en faire plus que les autres ».

Aurait-il eu la même maturité, la même motivation, le même mental qu’aujourd’hui sans cette épreuve ?

Puisqu’on ne peut pas tous les éviter, on peut essayer de trouver dans les conflits ce qu’ils ont apporté de bon, et en sortir par le haut peut même permettre à une relation de connaître une véritable remontada.

Sylvia ISRAEL, mai 2021

[1] L’affaire sera jugée en octobre 2021

[2]Karim Benzema : « Deschamps a cédé à une partie raciste de la France »Le Monde.fr,Abel Mestre, 1er juin 2016 ; Le suicide médiatique de Karim Benzema, SoFoot.com, François-Miguel Boudet, 1er juin 2016

[3]Didier Deschamps dans « Téléfoot », TFI, 23 mai 2021

[4] Virginie Phulpin, « L’édito sport », Europe 1, 19 mai 2021

[5] Didier Deschamps dans « Téléfoot », 23 mai 2021, et Karim Benzema dans « L’Équipe », 25 mai 2021

[6] J. Salzer, A. Stimec, La boîte à outils de la gestion des conflits, Dunod, 2016, « Le mûrissement »

[7] Zinedine Zidane, conférence de presse, 21 mai 2021

[8] S. Demoulin, Psychologie de la médiation et de la gestion des conflits, Mardaga Supérieur, 2021 relatant les travaux de J. Poitras et S. Pronovost (2018)

[9] R. Fischer, W. Ury et B. Patton, Getting To Yes, Penguin Books, 1ère édition 1981, “Look for mutual gain”

Vous aimerez aussi...