PRATIQUES ET RÉSEAU DE LA MÉDIATION EN SUISSE: PARTICULARITÉS HELVÉTIQUES

Incarné par des organisations pionnières telles que le Groupement Pro Médiation (GPM) et la FSM FEDERATION SUISSE MEDIATION, le réseau suisse de médiation contribue depuis les années 1980 à structurer et renforcer la qualité des pratiques. Cette brève introduction se propose de mettre en lumière les principaux défis, réalités et perspectives actuelles du développement de la médiation en Suisse.

Médiation et paix sociale en Suisse
Aussi symboliquement que concrètement, le développement de la médiation en Suisse résonne avec ses particularités politiques et culturelles. La construction de l’état suisse s’avère même savoureusement indissociable du terme de médiation : dans un épisode – pacifique – de l’histoire napoléonienne, le Premier Consul français imposa en 1803 l' »Acte de Médiation » à une Suisse alors divisée entre fédéralistes et unitaires, au bord de la guerre civile. Si cette intervention étrangère apparait bien distincte du processus de médiation tel qu’on le conçoit dans ces lignes, certains la qualifient d’ »acte de sagesse ». Elle établit le principe de l’égalité entre les différents Etats suisses (nommés cantons) ainsi qu’entre les différentes langues, posant ainsi les bases de l’Etat fédéral actuel.
Chacun connait plus ou moins bien la suite : la Suisse bénéficie depuis 1815 du statut juridique d’Etat neutre, fonctionne selon un système démocratique basé sur le consensus, offre ses « bons offices » diplomatiques lors de conflits internationaux et accueille de nombreuses négociations et conférences de paix. Voilà pour le décor rouge à croix blanche.

Réseau suisse de médiation
A l’échelle de la société suisse, la découverte du concept de médiation en tant que mode de régulation sociale date des années 80. Celles et ceux qui en deviendraient les pionnier.ère.s trouvèrent leur inspiration dans une combinaison de rencontres et influences issues notamment du mouvement communautaire « New Age », des premiers travaux de Jacqueline Morineau en matière pénale et de l’introduction de la médiation familiale dans la législation américaine.
L’élan généré en Suisse par ces diverses sources d’inspiration entraina la création de plusieurs initiatives en faveur du développement de la médiation. Dans la région francophone, plusieurs associations se regroupèrent dès 1996 pour constituer le Groupement Pro Médiation (GPM), dont les deux missions principales sont encore aujourd’hui la formation et la promotion de la médiation. Afin de renforcer le réseau suisse de médiation avec une structure faîtière nationale, l’actuelle FSM FEDERATION SUISSE MEDIATION fut fondée en 2000.

Formations et reconnaissance de la profession
Centrées initialement sur la communauté, les premières formations à la médiation de Suisse romande furent organisées dès les années 1980, selon un format court adapté à une pratique bénévole. Des formations longues plus spécifiquement axées sur la famille virent le jour au début des années 1990. Les applications du concept de médiation s’élargirent successivement à de nombreux domaines et usages, ce qui conduit à une diversification des champs et formats de formation.
Dans le but de garantir un niveau de formation qualitatif, l’organisation faîtière créa le titre de « Médiateur / Médiatrice FSM » en constituant une structure de reconnaissance et de contrôle continu. La Fédération Suisse de Avocats créa en parallèle le titre « Médiateur / Médiatrice FSA », avec des critères de reconnaissance distincts. A ce jour, les deux titres coexistent également avec différents diplômes universitaires de niveau CAS/DAS, dont certains correspondent à des spécialisations. La profession de médiateur.trice ne fait pas l’objet d’un diplôme fédéral, et n’est dès lors pas juridiquement protégée.

Lois et dispositifs judiciaires suisses
Le système politique fédéral suisse induit par nature une grande disparité dans le texte des lois relevant de la compétence des cantons : chacun des vingt-six cantons connaît en conséquence une organisation et des pratiques judiciaires distinctes. En matière de médiation, certains furent précurseurs : le canton de Genève l’introduisait déjà en 2001 dans sa loi d’organisation judiciaire et son code de procédure pénale. Le canton de Fribourg constitua quant à lui un bureau de la médiation pénale des mineurs dès 2004.
Dans un élan encourageant, le droit fédéral institua la médiation de manière généralisée dans le domaine pénal des mineurs (2007), puis dans le domaine civil (2011). Un tribunal peut ainsi « exhorter » les parties à participer à une médiation pendant la procédure judiciaire, ce qui signifie que le juge peut émettre une recommandation très appuyée pour que les parties entrent en médiation.
En matière familiale, plus spécifiquement, certains cantons romands ont récemment développé des projets-pilotes qui reprennent le modèle de Cochem. Ce dispositif allemand, qui vise à favoriser le consensus parental avec le soutien d’intervenants issus d’une commission interdisciplinaire, permet notamment aux juges d’ordonner une médiation lorsqu’ils l’estiment nécessaire.
Bien qu’elle ne soit pas expressément prévue en droit pénal des adultes, la médiation est également utilisée dans ce domaine par les autorités de certains cantons. En dehors du cadre de la procédure, d’autres aspects liés à une infraction pénale peuvent également être abordés à travers certains dispositifs interdisciplinaires liés à la justice restaurative, dont la médiation.
Les freins à l’usage de la médiation dans le contexte judiciaire demeurent. La question du financement de la médiation, notamment, peut constituer une barrière : il est en principe à la charge des parties, bien que les cantons puissent prévoir des dispenses de frais. En présence d’enfants, la médiation est gratuite si les parties ne disposent pas des moyens nécessaires et si le tribunal recommande le recours à la médiation. Or, seuls 46% des juges y sont sensibilisés et l’encouragent autant que faire se peut . Enfin, sur 128 avocats sondés en 2017, seuls 53% d’entre eux proposent la médiation plus d’une fois par an à leurs clients à Genève et 17% ne la proposent jamais dans le canton de Fribourg .
Plus globalement, aucune loi fédérale ne donne une définition juridique à la médiation, ce qui entraine encore parfois une confusion avec la procédure de conciliation. Le processus de médiation bénéficie toutefois expressément d’une plus grande liberté de mise en œuvre : le droit fédéral précise que, lorsqu’une médiation a lieu, les cantons ne peuvent pas règlementer le processus ni limiter l’autonomie des parties dans le choix de la personne médiatrice, sauf si les cantons financent eux-mêmes la médiation. Les cantons peuvent néanmoins fixer des exigences en termes d’indépendance, de diligence et orienter les personnes vers certains médiateurs, à travers par exemple une liste établie. Certaines dispositions cantonales ont ainsi instauré une procédure d’accréditation ou d’assermentation des médiateurs.trices.

Structures hybrides
D’autres nuances brouillent encore la carte de la médiation suisse. En marge du contexte judiciaire, des structures de « médiation » se développent dans certains cantons au sein de services publics tels que la police, l’école et les hôpitaux. Dans le secteur de l’économie, le droit du travail fédéral impose à toute entreprise de prendre les mesures nécessaires pour prévenir et traiter les risques psycho-sociaux, notamment désigner une « personne de confiance » interne ou externe à laquelle les personnes concernées peuvent s’adresser en cas de conflit. Pour chacun de ces exemples, la proximité réelle ou supposée des dispositifs proposés avec la déontologie de la médiation interroge – a minima les puristes – sur les moyens concrets d’assurer la confidentialité, l’indépendance et la neutralité spécifiquement requises.

Perspectives suisses
Le mode d’emploi de la médiation en Suisse semble probablement aussi déroutant que l’épreuve du laissez-passer A-38 dans Les Douze Travaux d’Astérix… mais son développement n’est-il pas, lui-aussi, un processus de construction vivant et impermanent, en ajustement constant aux besoins d’une société en mouvement ?
On peut considérer, comme la FSM le communiquait lors de son 12e congrès de juin 2023, que la médiation s’affirme comme une « compétence clé indispensable » pour aborder les conflits à tous les niveaux – des disputes au sein de la famille et sur le lieu de travail à la polarisation de la société et aux conflits internationaux. Dans les faits, la pratique suisse explore de nouveaux champs, tel que celui de la médiation pour les aînés. Elle inspire des processus participatifs de groupe, de dialogue social, et fait l’objet d’études scientifiques. Mieux encore : elle bouscule certains dirigeants en pointant leurs tendances à s’affronter plutôt qu’à coconstruire. Le contenu du verre n’est donc pas seulement à demi-niveau… bien au contraire !

Chrystelle Thiébaud
Médiatrice FSM à Genève
Vice-présidente du Groupement Pro Médiation (GPM)
www.mediations.ch


[1] Jean A. MIRIMANOFF. Rapport sur la pratique de(s) tribunaux civils de 1e instance des cantons de la Suisse romande en matière de renvoi judiciaire à la médiation (RJM) 2019, p. 7

[2] BERDOZ, Florence. La médiation familiale : un processus à privilégier et à développer pour résoudre les séparations conflictuelles ? 2022, p. 32

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