Médiation et intelligence artificielle

« Au cours de ma vie, j’ai assisté à deux démonstrations technologiques qui m’ont semblé révolutionnaires. La première fois, c’était en 1980, lorsqu’on m’a présenté une interface utilisateur graphique, précurseur de tous les systèmes d’exploitation modernes, y compris Windows […]. La deuxième grande surprise est survenue l’année dernière […]. ChatGPT est la plus grande révolution depuis les années 1980 […] L’intelligence artificielle est aussi révolutionnaire que les téléphones portables et l’internet ». Lorsque Bill Gates publie le 21 mars 2023 un post sur son blog, intitulé « l’ère de l’IA a commencé » et s’empare du sujet de l’IA en le décrivant comme la plus grande révolution depuis les années 1980, c’est qu’il y a vraiment un sujet d’envergure qui ne doit pas nous laisser indifférents.
Nous voyons d’ailleurs ces dernières semaines que toutes les maisons d’éditions du droit ont désormais développé leur propre outil d’intelligence artificielle.

Depuis sa naissance, l’IA a été définie de plusieurs manières, nous faisons ici le choix de retenir la définition donnée par Goldman Sachs comme étant le « développement de systèmes informatiques capables d’effectuer des tâches qui requièrent habituellement l’intelligence humaine ».
L’IA générative est quant à elle définie comme « un type de système d’IA capable de générer du texte, des images ou d’autres médias en réponse à des prompts » en utilisant une base de données [1]. Le transformateur génératif pré-entraîné (« generative » pre-trained transformer » ou « GPT ») d’OpenAI est le principal exemple d’IA générative et de ses capacités d’auto-apprentissage. Le Chatbot de l’entreprise, ChatGPT, a été popularisé par son accès au grand public et grâce à sa capacité à fournir aux utilisateurs des textes originaux à partir des saisies de textes. ChatGPT a atteint 100 millions d’utilisateurs en janvier 2023, devenant la première plateforme à atteindre ce seuil durant le mois suivant son lancement [2].

L’avènement de l’IA et son accès au grand public va conduire à une transformation profonde de la quasi-totalité des domaines, tant dans notre vie privée que professionnelle. Les précurseurs de l’IA s’en sont déjà emparés et les résultats sont bien souvent bluffant. Goldman Sachs a évoqué plus de 300 millions de postes qui seraient supprimés dans le monde. Il est évident que certains métiers vont disparaitre ou du moins perdureront, mais seront exercés d’une façon nettement différente.

Bien que l’IA existe depuis un certain temps, c’est avec la pandémie COVID-19 que ce phénomène s’est accentué et plus particulièrement dans le cadre qui nous intéresse. Selon les témoignages de certains médiateurs, avant la crise sanitaire COVID-19 ils n’avaient jamais envisagé d’effectuer des médiations par visioconférence, en effet, pour la plupart des médiateurs interrogés, cela déshumanise le processus qui est avant tout, un processus qui consiste en un rapprochement humain.

En effet, la pandémie, les confinements et les mesures de distanciation qui en ont résulté ont accéléré l’usage des outils de communication digitale dans le processus de médiation.

Ces outils sont une forme d’IA qui au moment de la pandémie étaient encore limités et au stade de développement. Nous pouvons ainsi citer entre autres « Skype », « Zoom », « Google meet »… Pour un certain nombre d’entre nous et toutes générations confondues, nous ne savions que très peu, voire pas du tout utiliser ces logiciels. Les médiateurs interrogés ont ainsi indiqué qu’ils ont dû s’adapter pour continuer les médiations.

Il est donc primordial de s’intéresser aux enjeux qui sont liés à l’impact de l’IA dans la pratique du médiateur. Quelles mutations, quelles opportunités et quelles conséquences sur la démarche du médiateur ?
Comme dans chaque révolution, il y a toujours des aspects positifs et négatifs. L’IA doit-elle être vue comme un risque ou une opportunité, une amie ou une ennemie de la médiation ? L’IA, un risque systémique ou simple révolution informatique de plus ? Doit-on parler en France d’une IA à la française, qui impliquerait nécessairement un encadrement de cette pratique ?

I. L’avènement de l’IA dans le processus de médiation.

L’influence de l’IA dans le processus de médiation s’est faite progressivement, dans un premier temps, l’émergence s’est faite par l’intégration de l’IA dans la médiation traditionnelle à travers des outils de communication de plus en plus élaborés.

L’outil qui a été le plus utilisé est celui qui a permis de réaliser les médiations à distance, à savoir la visioconférence, dans son usage le plus simple.

En effet, les fonctionnalités de ces logiciels étaient encore assez simples, à savoir, la discussion, la messagerie instantanée, le partage d’écran…

Il s’agissait donc là d’un outil mis au service du médiateur, entre autres, pour continuer à mener les réunions de médiation à distance, qu’il s’agisse d’apartés ou bien de réunions plénières.
Ainsi, la plateforme, (peu importe son nom) met à disposition du médiateur, une salle de réunion de médiation virtuelle, afin qu’il puisse exercer son activité. Le médiateur et les médiés peuvent ainsi interagir à distance, se voir via leurs caméras respectives et s’entendre via leurs micros. Le médiateur qui est « l’hôte » de la réunion a même un certain nombre de pouvoirs qui ne sont pas négligeables. Si le médiateur estime qu’un des médiés a dépassé son temps de parole ou qu’il ne respecte pas la prise de parole de l’autre, il peut mettre en sourdine le médié en question. Le médiateur a alors un pouvoir de distribution de la parole plus importante qu’en cours de médiation physique.

Ce pouvoir n’est pas négligeable et permet au médiateur de réguler le temps de parole. Les avantages de ces outils sont donc multiples et ont d’ailleurs évolué depuis la crise pour être encore plus utiles et innovants.
Désormais et pour aller plus loin, certaines plateformes de visioconférence donnent la possibilité grâce à l’IA, aux intervenants qui ne parlent pas la même langue, de traduire en simultanée les discussions.
Cette avancée n’est pas négligeable en terme de médiation interculturelle par exemple.

Ainsi, au lieu de prévoir un interprète qui sera tiers au processus et qui devra se soumettre aux règles de la médiation et qui aura un coût financier, une simple fonctionnalité, grâce à l’IA, va pouvoir traduire aux autres médiés et au médiateur les propos de la personne qui parle en langue étrangère. C’est incontestablement un atout, puisque cette avancée technologique par le biais de l’IA permet de lever la barrière de la langue et de faciliter les échanges en temps réel au cours d’une médiation en visioconférence.

L’émergence de l’IA dans le processus de médiation traditionnel a beaucoup d’avantages, à savoir l’efficacité, la productivité, l’assistance et bien plus encore. Avec ces nombreux atouts, il n’est pas étonnant que l’on ait voulu aller plus loin dans l’usage de l’IA au sein de la médiation, en développant de nouvelles formes de médiation, à savoir, la médiation en ligne et la médiation automatisée.

Puis un nouveau type de médiation a commencé à voir le jour avec l’émergence de l’IA dans le processus de médiation.

La médiation automatisée a été définie par Fathi Ben Mrad comme étant « un dispositif algorithmique autonome et relativement flexible pour s’adapter à des situations singulières dans le but d’atteindre des objectifs modulables, au regard des mêmes situations, qui par définition sont au moins partiellement inconstantes. Pour être efficace, le comportement de ce dispositif doit notamment être en capacité de saisir les communications dans leurs divers aspects (verbale, non verbale, para-verbale) et demeurer souple, réactif et anticipatif » [3].
À la différence des médiations traditionnelles qui vont faire appel à la visioconférence ou bien des médiations en ligne qui vont permettre une meilleure productivité et un accès en ligne pour la résolution des conflits, les médiations automatisées s’en distinguent fondamentalement puisqu’il ne s’agit plus de parler d’un outil qui facilite la médiation, mais bien d’une technologie à part entière qui vient résoudre directement le conflit, par le biais des algorithmes.
Les médiations automatisées se targuent d’utiliser la technologie pour rendre le processus de résolution des conflits, plus efficace, plus rentable, plus rapide et accessible à un plus grand nombre de personnes. Bien qu’en théorie, ce nouveau type de médiation puisse offrir des avantages, il n’en demeure pas moins que ces nouvelles pratiques questionnent quant à la confidentialité des échanges, à la sécurité des documents transmis… Les principes fondamentaux de la médiation sont-ils respectés ? Cela n’est pas toujours certain. Par ailleurs, en cas de défectuosité du système, qui sera le responsable juridiquement ? L’IA n’a pas la personnalité juridique à ce jour, il est donc inconcevable de poursuivre une IA. Faut-il développer une responsabilité des IA ? Il est évident que la pratique de l’IA évolue plus vite que le corpus législatif, sa personnalité sui generis, va forcément mener à un vide juridique qu’il faut encadrer.

II. Les conséquences de l’IA sur le processus de médiation.

Les principes de confidentialité, de neutralité, d’empathie, d’impartialité… sont des gardes fous de la médiation auxquels il n’est pas possible de déroger. Cependant, il est évident que l’usage actuel de l’IA, interroge au niveau d’un certain nombre de principes. En fonction des différents stades d’usage de l’IA, l’atteinte aux principes fondamentaux sera plus ou moins élevée.
Ainsi, lorsque le médiateur va utiliser la visioconférence pour organiser les réunions de médiations, il y a un principe fondamental qui peut être remis en cause, celui de la confidentialité et de la sécurité des échanges.

Pour aller plus loin, nous pouvons également aborder le sujet des « deepfake », les médiés pourraient être tentés d’utiliser des « deepfake » durant la visioconférence ce qui tromperait tant le médiateur que les autres médiés.
Il faut également s’intéresser à la sécurité des plateformes qui mettent à disposition les salles virtuelles. Comment être certain que les plateformes n’écoutent pas ou n’enregistrent pas les réunions ? Comment être certain que les informations échangées soient bien sécurisées ? La confidentialité des informations en médiation étant cruciale et sensible, l’utilisation de ces plateformes nécessite une gestion rigoureuse de la sécurité et de la confidentialité pour éviter tout risque de divulgation.
Comment être certain que la plateforme ne va pas être piratée ou faire l’objet d’une attaque cybercriminelle d’une grande envergure ?

Enfin, le développement de l’IA dans le processus de médiation et plus largement dans tous les domaines interroge sur la propriété intellectuelle des données émises par l’IA.

Lorsque l’IA émet des réponses, il est important de se demander de quelles sources elles sont émises. Il faudra donc être très vigilant quant à la protection des données et notamment de la propriété intellectuelle.
Ces questions ne sont pas anodines, compte tenu du défi qu’implique l’IA, il y a une réelle nécessité de réguler cette pratique tout en laissant une possibilité d’innover et d’aller plus loin dans le développement de l’IA. En régulant, nous pouvons voir l’IA comme une réelle opportunité et non pas une menace.
C’est le parti pris du Parlement européen, qui après trois ans de négociation a adopté l’IA Act le 13 mars 2024. L’IA Act va permettre une régulation et un encadrement uniforme de l’IA au sein de l’Union européenne.

(Article également paru sur le site Village de la Justice.com, 12 novembre 2024)

SalyBou Salman,
Avocate au Barreau de Paris et Médiatrice.

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