L’empathie : ce qu’en disent les neurosciences

Souvent confondue avec la sympathie, l’empathie est un sentiment bien complexe et néanmoins utile dans la boîte à outils du médiateur ou de la médiateure. Les neurosciences s’y intéressent de près et nous aussi, afin d’améliorer notre posture et accompagner au mieux les médians (1). Carole Chatelain, auteure de “Médiation : comment développer son empathie ?” (2), nous guide et nous apprend comment en faire une alliée.

L’empathie est au cœur de la médiation. Exprimée par les médiateur·e·s envers les médians, elle est aussi ressentie par ceux-ci à un moment-clé du processus, le “point de bascule”, où chacun·e peut enfin “entrer dans le cadre de référence” de l’autre et envisager de possibles pistes pour sortir d’un conflit souvent long et douloureux.

Encore faut-il définir ce qu’est réellement l’empathie. Car, contrairement à une idée reçue, ce sentiment “n’est pas un partage d’émotions dans une sorte de confusion joyeuse”, comme l’explique Bérengère Thirioux, docteure en neurosciences et chercheuse au centre hospitalier Henri Laborit à Poitiers. Elle met en jeu des processus cognitifs dits “de haut niveau” que les neurosciences – cette discipline qui s’intéresse au fonctionnement de notre cerveau – commencent à décrypter. Leur découverte apporte un éclairage utile aux médiateur·e·s dans la compréhension des ressentis et leur permet d’enrichir leur approche. En outre, chacun·e d’entre nous est susceptible d’améliorer son empathie grâce à une notion qui a révolutionné les neurosciences depuis sa mise en évidence au début des années 2000 : la “plasticité cérébrale”, cette capacité de notre cerveau à acquérir de nouvelles compétences cognitives grâce à l’apprentissage et l’expérience.

Grâce aux progrès des techniques d’imagerie médicale, on comprend mieux le fonctionnement de notre cerveau. Les neurosciences, et plus spécifiquement celles dites “cognitives” – qui s’intéressent à nos facultés de perception, de mémorisation et de raisonnement – ont ainsi décrypté certains mécanismes activés lorsque nous interagissons avec nos semblables. Ces techniques ont permis de décrire les phénomènes neuronaux mis en œuvre dans l’empathie, soulignant sa spécificité. Même si, comme le précise le neuroscientifique Antonio Damasio, directeur de l’Institut pour l’étude neurologique de l’émotion de l’université de Caroline du Sud, aux États-Unis, “les neurosciences ne peuvent en aucun cas tout expliquer du fonctionnement des affects”.

Dans les méandres du cerveau
Mais les résultats obtenus permettent d’ouvrir des pistes. Ainsi, Berengère Thirioux a montré que la mise en jeu de l’empathie dans le cerveau diffère de celle de deux autres niveaux de ressenti des émotions, avec lesquels elle est trop souvent confondue : la contagion émotionnelle et la sympathie. La contagion émotionnelle serait le premier “niveau”. Lorsque nous entrons en interaction avec une personne (ou un groupe), nous sommes en effet susceptibles de partager spontanément ses émotions (peur, tristesse, joie…). Il s’agit d’un processus subconscient et automatisé, qui apparaît dès les premiers stades du développement de l’enfant, et qui n’induit aucune distance entre soi et l’autre. On le retrouve aussi bien dans les pleurs contagieux des bébés dans les crèches que dans le fou rire partagé ou les manifestations de liesses populaires, par exemple. À ce stade, les émotions agissent comme des virus, car “elles peuvent être hautement contagieuses”, explique Christophe Haag, spécialiste de psychologie sociale à l’EM Lyon et auteur de “La contagion émotionnelle” (3).
Vient ensuite le second niveau : la sympathie. Il s’agit ici de l’aptitude à se soucier de l’autre, avec le désir de lui venir en aide, comme l’a défini le neurophysiologiste Alain Berthoz, professeur au Collège de France. Elle active les aires cérébrales dédiées à la simulation en soi de l’expérience et du ressenti des émotions d’autrui. La sympathie met donc en jeu des liens affectifs et électifs et ne se transmet pas spontanément d’un individu à un autre.

La spécificité de l’empathie
L’empathie constitue le niveau ultime. Elle implique les mêmes zones du cerveau que la sympathie, mais y ajoute une spécificité : l’empathie est la seule à mettre en action des processus dits “d’autorégulation”. Ceux-ci inhibent les aires cérébrales reliées à la perspective autocentrée et activent en revanche celles reliées à la perspective hétéro-centrée. Autrement dit, lorsque nous ressentons de l’empathie, nous ne projetons pas sur autrui ce que nous ressentons, ni n’introjectons ce que l’autre ressent. C’est précisément cette position que doit adopter le·la médiateur·e, qui peut ainsi “percevoir le cadre de référence interne d’autrui aussi précisément que possible et avec les composants émotionnels et les significations qui lui appartiennent, comme si l’on était cette personne, mais sans jamais perdre de vue la condition du « comme si »…”, comme le disait le psychologue américain Carl Rogers.

L’empathie, mode d’emploi
En exerçant son empathie, le·la médiateur·e joue son rôle de tiers, à l’écoute attentive, tout en se préservant de la proximité affective. Et les études en neurosciences ont montré que les destinataires en ressentent les effets bénéfiques. Ces recherches ont été conduites dans la relation soignant-soigné, mais nous émettons l’hypothèse que leurs conclusions peuvent être étendues à la médiation.
Ainsi, en favorisant un climat de confiance, l’empathie fait baisser le niveau de stress des médians : elle favorise la production d’hormones (ocytocine, vasopressine) qui inhibent le rôle de l’amygdale – siège de la peur dans le cerveau –, entraînant un apaisement progressif. L’empathie active également le cerveau dit “social”, ces zones cérébrales dédiées aux interactions avec autrui. Des études ont en effet révélé que les sentiments d’isolement et d’exclusion activent les mêmes aires que la douleur physique.

En travaillant à restaurer le dialogue et à préserver l’équité, le·la médiateur·e apaise cette souffrance. Enfin, en permettant aux médians d’exprimer leurs émotions et de développer le sentiment d’avoir été entendu et compris, l’empathie active le circuit de “la récompense”, composé par les zones neurales dédiées au plaisir et à la satisfaction.

Dans le domaine de la santé, “les médecins considérés comme empathiques obtiennent de meilleurs résultats sur leurs patients”, a ainsi établi l’Américaine Beth Huntington, spécialiste du risque médical. C’est aussi l’ensemble de ces interactions qui, au final, pourrait favoriser l’apparition du “point de bascule”, ce moment où les médians acceptent de porter un regard nouveau sur le conflit en prenant, à leur tour, le cadre de référence de l’autre. Ce qui est une forme d’empathie.
Nous ne sommes pas tous égaux devant l’empathie. Mais des travaux récents sur la “plasticité cérébrale” ont attesté que chacun pouvait entraîner cette faculté spécifique en multipliant les expériences et les apprentissages, en particulier grâce aux activités psycho-corporelles, selon Richard Davidson, professeur de psychologie à l’université du Wisconsin. Après trente années de recherches sur la méditation, ce dernier a ainsi établi que cette pratique renforçait “les connexions entre le cortex préfrontal et d’autres régions cérébrales importantes pour l’empathie. Elle améliore l’attention sélective, ce qui fait gagner en concentration”. Il en va de même pour le yoga ou encore pour la pratique régulière d’une activité sportive : pas moins de quatre mille études, comme celles réalisées par les chercheur·euse·s de l’université de l’Illinois, ont abouti au constat que des séances régulières amélioraient les fonctions cognitives.

Carole CHATELAIN

Médiateure, rédactrice en chef de Sciences et Avenir,
chargée d’enseignement à l’Ifomene (Institut catholique de Paris) et à l’Université Paris-Nanterre.

(1) Médians : terme qui désigne les parties en conflit engagées dans le processus de médiation.
(2) “Médiation : comment développer son empathie ?”, Carole Chatelain, éd. Archetype 82, 2019.
(3) “La contagion émotionnelle”, Christophe Haag, éd. Albin Michel, 2019.

Vous aimerez aussi...