Jean-Luc Barral : samouraï de la paix

Jean-Luc Barral a dit : “Prendre les situations de conflit et les ramener vers une situation de paix, c’est un mythe de Sisyphe, un éternel recommencement, mais cela me paraît noble et sain de s’y consacrer.” Quel lien peut-il y avoir entre la citoyenneté, la médiation, l’aïkido – art martial très prisé du monde de la médiation (1)et le métier d’avocat ? Inter∞médiés a tenté de trouver la réponse, dans l’Hérault, auprès de Jean-Luc Barral, un avocat qui a trouvé sa voie en reliant ces différentes disciplines.

Avocat au barreau de Montpellier, Jean-Luc Barral s’est formé à la médiation il y a vingt ans, à une époque où “tout le monde nous prenait pour des fous”. L’aïkido fait partie de sa vie depuis sa jeunesse. Il a été durant dix-sept ans président de l’association “Initiative Cœur d’Hérault ”, une association loi 1901 créée en 1999, qui a pour mission l’accompagnement de créateurs d’entreprises. Il en a cédé la présidence afin de se porter candidat aux élections municipales de 2020. 

Inter∞médiés: Me Barral, aujourd’hui, vous voulez vous impliquer dans l’avenir de votre ville, Clermont l’Hérault, en vous présentant aux élections municipales. Comment ces trois disciplines, le droit, la médiation et l’aïkido, vous ont-ils mené à cet acte citoyen ?

Jean-Luc Barral : je ne peux pas affirmer qu’ils m’y ont amené. C’est pour imiter mon grand-père, pour lequel j’avais un très grand attachement, que je suis devenu avocat. Mais ces disciplines ont en commun la violence ou plutôt, le conflit.

Récemment, j’ai pris conscience que le métier d’avocat me collait à la peau. Quand j’ai repris l’aïkido, que j’avais pratiqué très jeune, j’ai constaté que ce qui reliait les deux, c’était le conflit : que ce soit sur le tatami ou dans les tribunaux, on ne fait rien d’autre que de gérer un conflit. Certes, dans les tribunaux, il est réel et sur le tatami, il est simulé, mais très physique, jusqu’à la limite de la douleur. Cette technique est issue du ju jitsu pratiqué par des samouraï  (2). L’aïkido est un budô  (3), cette spiritualité qui chapeaute tous les arts martiaux d’origine japonaise. Tout cela est en lien avec le conflit. Je m’étais toujours demandé : “Comment se fait-il que j’aie une sainte horreur de la confrontation et qu’en même temps, elle puisse m’attirer  au point d’en faire et mon métier et mon loisir ?” J’ai fini par comprendre qu’intellectuellement, on ne peut concevoir la notion de paix que par opposition à la notion de guerre. Depuis que l’humanité existe, la paix ne se définit que comme un état d’absence de guerre. Alors, que peut-on faire d’intéressant dans la vie ? Prendre les situations de conflit et les ramener vers une situation de paix ! C’est un mythe de Sisyphe, un éternel recommencement, mais cela me paraît noble et sain de s’y consacrer. En tout cas, cela me passionne.

La médiation remplace-t-elle votre travail d’avocat ?

Évidemment, la médiation est la manière presque magique de régler les questions de conflit. On reçoit les personnes et, en quelques séances, ils trouvent le moyen de parvenir eux-mêmes à des solutions et de sortir de là en état de paix.

Mais ça ne fonctionne pas toujours, c’est pour cela que la position de l’avocat plaidant est toujours indispensable. Dans ces cas, il faut bien trouver un tiers pour trancher le problème et donc, aller devant un juge. Mais le rôle de l’avocat ne consiste pas seulement à faire la guerre, loin de là. D’abord, il y a la façon de la mener. Dans “L’art de la Guerre”, Sun Tzu  (IVe  siècle av. JC)  explique que la meilleure façon de faire la guerre est… de ne pas la faire. Ou alors de la faire dans des conditions telles qu’elle soit gagnée d’avance. Le travail de l’avocat, c’est un peu la même chose, c’est-à-dire que l’on n’y va pas si c’est perdu d’avance. Il faut être en position de force. Mais finalement, comment définir qu’un dossier a été gagné ou perdu ? En matière familiale, c’est quasi impossible, car selon quels critères définit-on la victoire ? Il faudrait fixer d’avance des objectifs à atteindre pour pouvoir le mesurer, mais c’est impossible car une situation évolue dans le temps.

De la même façon, en aïkido, lorsqu’on commence un geste, on n’est pas sûr de pouvoir le finir comme on l’avait prévu. C’est comme dans un dossier qui évolue, on ne sait jamais vraiment où l’on va. Il faut sans cesse s’adapter. En médiation, l’adage dit que le médiateur n’a pas de but. J’y vois un parallèle avec le samouraï qui ne cherche pas la victoire quand il se bat. Il faut être sans but, de manière à s’adapter à l’autre. Et c’est la condition de l’efficacité, comprenne qui peut !

Mais le samouraï se bat pour un seigneur et le but, c’est de gagner la guerre ?

Oui, mais une fois dans le combat, il doit oublier qu’il est là pour gagner, il n’est là que pour se battre le mieux possible. Lorsque l’on veut trop un résultat, on finit par échouer. On l’a tous vérifié.

Si je comprends bien, le samouraï, le médiateur et l’avocat ont en commun un code d’honneur, un code déontologique. Et quel est le lien de tout cela avec la citoyenneté ?

Oui, il y a un code d’honneur. D’ailleurs, au début, les avocats trouvent ce code déontologique très contraignant, mais ils découvrent vite que leur métier serait invivable si ce code n’existait pas. Le lien avec la citoyenneté ? Je crois que l’on reste sur la notion de conflit, car la démocratie, c’est une tentative d’organisation de la société qui permet de s’exonérer de la violence pour désigner ses dirigeants. Mais on reste dans une forme atténuée de conflit, de bataille pour le pouvoir. La question est ensuite : veut-on y ajouter de l’éthique, de la déontologie, du budô ? On peut appeler cela comme on veut, mais on retrouve les mêmes fondamentaux : nous avons une bataille électorale. En ressortira un vainqueur et un vaincu. Une fois que la personne est élue, elle n’est pas quitte de ses électeurs puisqu’elle reste en permanence sous la pression de la lutte sectorielle ou sociale ou professionnelle d’untel et untel qui souhaite obtenir ceci ou cela. Et cela vaut pour les communes comme pour le gouvernement.

Et, lorsque la démocratie fonctionne mal, on retrouve immédiatement la violence physique : l’affaire des gilets jaunes en est un exemple. De telles situations arrivent lorsqu’on ne trouve plus le moyen de gérer un conflit de manière “civilisée”, apaisée ou par la négociation. La citoyenneté, le civisme, c’est une façon d’être dans la cité. D’ailleurs, on y retrouve le droit, car le droit n’est pas une fin en soi. Il permet aux personnes de vivre ensemble sans que ce soit la guerre permanente.

Il me semble utile de mettre mon expérience dans ces matières au service de la cité. Je m’y suis efforcé en tant que président de “Initiative Cœur d’Hérault”, en tant qu’administrateur du Centre de la médiation du barreau de Montpellier, et je souhaite le faire au sein du conseil municipal  de ma ville. Ce sont des choix et des chemins qui se regroupent.

Propos recueillis par Christel Schirmer

(1) Voir Inter∞médiés n° 1, p. 50-51.

(2) “Samouraï” signifie “serviteur”.

(3) Les budô sont les arts martiaux japonais apparus entre le milieu du XIXe siècle et le milieu du XXe siècle. En japonaisbu signifie “combat” et dô signifie “voie” [source : Wikipédia].

 

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