Je verrai toujours vos visages, du condensé de vérité !

“Je verrai toujours vos visages, du condensé de vérité !”

Marion Delisse et Aude Pivin ont rencontré Édith Herrero et Bernard Paix (1), praticiens de justice restaurative. Tous deux ont participé à la préparation du film de Jeanne Herry, Je verrai toujours vos visages. Ils nous expliquent pourquoi et comment. Entretien.

Inter∞médiés : Comment avez-vous rencontré Jeanne Herry ?
Édith Herrero : l’IFJR (2) m’a appelée un jour, lors du premier confinement [en 2020 NDLR] pour m’annoncer que Jeanne Herry souhaitait réaliser un film sur la justice restaurative et m’a demandé si je serais d’accord pour témoigner de mon expérience dans ce domaine. Jeanne Herry est ensuite venue vers moi, tout simplement.
Bernard Paix : j’ai été contacté par l’IFJR qui m’a dit qu’une réalisatrice souhaitait rencontrer un membre de la communauté de la justice restaurative. J’ai bien sûr donné mon accord, d’autant que j’avais bien apprécié les précédents films de Jeanne Herry (3). Nous nous sommes rencontrés une fois en visio (à cause du covid), ensuite en présentiel dans une brasserie parisienne. Nous avons échangé pendant environ 7 heures.

Comment s’est passée votre rencontre ?
É. H. : nous avons effectué deux entretiens de trois heures chacun en visioconférence. Jeanne Herry se trouvait alors au tout début de l’élaboration de son film. Elle m’a posé plein de questions et m’a expliqué comment elle avait elle-même connu la justice restaurative. Je me suis montrée très curieuse à ce propos, me demandant comment une personne qui n’était pas du sérail connaissait cette pratique. Tout comme moi, elle l’a découverte par hasard sur internet. Elle a effectué un travail de petite fourmi. Elle s’est rendue à l’IFJR qui l’a alors renvoyée vers nous. Plusieurs bénévoles et salariés de l’institut ont été contactés.
B.P. : après les entretiens, j’ai rencontré Jeanne Herry lors d’une formation d’animateur de médiation restaurative donnée par l’IFJR. Nous nous sommes formés ensemble, nous avons fait des jeux de rôle sous l’œil attentif des formateurs de l’IFJR. Par la suite jeanne Herry m’a proposé d’être figurant dans son film. J’ai accepté et j’ai participé à la première scène du film, la scène de formation des futurs médiateurs en justice restaurative [coupée au montage NDLR].

Dans les reconstitutions historiques, des historiens sont présents sur les tournages afin de vérifier l’exactitude de ce qui est montré et d’ajuster si besoin. Cela a-t-il été le cas sur le tournage de Je verrai toujours vos visages ?
É. H. : oui, une de mes collègues salariée a assisté à certaines scènes de tournage. La préparation du film a été effectuée en très étroite collaboration avec l’IFJR. Même si les correspondants de l’Institut n’étaient pas présents sur le plateau pour certaines scènes, la véracité des choses a scrupuleusement été vérifiée.
B.P. : lors de la scène où j’ai pu être figurant, il y avait dans la zone de tournage la représentante de l’IJFR. On voit que jeanne Herry a travaillé main dans la main avec l’Institut pour que son scénario soit le plus proche possible de la réalité. Ayant vécu une Rencontre Détenu-Victime (RDV), j’ai pu partager avec Jeanne Herry des situations qui se sont réellement passées et qu’elle a ensuite intégrées dans son scénario.

Cela se voit dans le résultat final. Le personnage de la médiatrice joué par Élodie Bouchez pose des questions très pertinentes, parfaites. On rêverait d’avoir autant de talent en tant que médiateur ! Cela prouve bien que le film a été écrit en collaboration avec des professionnels, pour la partie médiation en tout cas…
É. H. : oui, pour l’autre partie également. Je connais les deux pendants [médiation et justice restaurative NDLR] et je peux en témoigner. C’est du condensé de vérité. C’est au mot près, à la situation près. C’est très impressionnant ! Et c’est pour cela que je me suis sentie autant bouleversée en voyant le film. Je vis à chaque rencontre de justice restaurative tout ce qui a été montré dans le film. C’est une fiction, mais pas tant que ça finalement.

Les situations montrées dans le film sont donc inspirées de faits réels ?
É. H. : Oui, trois fois oui ! Pour exemple, le personnage de Nassim (Dali Benssalah) se voit libérer en cours de processus. Une des dernières scènes le montre au volant de sa voiture, en train de revenir à la prison pour une des séances où il débarque tout stressé. Sa longue incarcération lui a fait perdre ses repères à l’extérieur et il est déboussolé. Il a peur de ne pas arriver à temps. Cette situation est réelle !
La verve et la colère montrées par le personnage de Nawelle (Leïla Bekhti) et son histoire de femme meurtrie sont véridiques elles aussi. C’est du vécu, rien n’a été inventé.
Les gâteaux partagés lors des pauses font également partie du processus, extrêmement carré et strict.
Dans l’activité de visiteurs de prison, nous présentons un laisser-passer et nous sommes fouillés, comme dans un aéroport. Il est strictement interdit de remettre quoi que ce soit aux détenus, y compris des feuilles de papier. Dans le cadre de la justice restaurative en milieu fermé, comme montré dans le film, il est possible d’échanger des objets avec les détenus, à condition que ce soit dûment négocié et validé en amont par l’administration pénitentiaire. C’est ce qui fait la
particularité de la justice restaurative et qui autorise les cadeaux de remerciement remis lors d’une des scènes finales. La réalisatrice n’a pris aucune liberté avec ce sujet.
B.P. : oui, d’ailleurs à propos de la libération de cette personne auteure et de son retour en prison pour la dernière séance, il faut savoir qu’elle a ensuite raccompagné en voiture les 3 personnes victimes chez elles : quel geste d’hospitalité…! Cela a été très fort pour nous lors du visionnage du film. Un autre exemple : lors d’une séance plénière que nous avons vécue, une des personnes auteures ne s’est pas présentée. Il y a alors eu un échange entre le groupe de personnes victimes, celui des personnes auteures et celui des animatrices et membres de la communauté : que faisons-nous ? On annule ou on continue ? Il a été décidé de poursuivre en maintenant la chaise… vide.

Comment les détenus peuvent-ils faire un cadeau aux victimes et/ou aux membres de la communauté ? Avec quels moyens ?
É. H. : ils les font sous forme de poèmes ou d’histoires puisqu’ils n’ont pas la possibilité d’acheter de cadeaux en prison.
B.P. : une des personnes détenues a « cantiné » des stylos Bic et gravé son numéro d’écrou avec le mot courage dessus, avant de les offrir aux trois personnes victimes.

Les séances se passent-elles vraiment de façon aussi lisse que celles montrées dans le film ? On a l’impression qu’il n’y a aucune aspérité, que les moments de bascule se produisent tous et que tout le monde termine par une avancée. Est-ce vraiment réaliste ? Dans vos expériences, chaque groupe accompagné avance-t-il autant ?
É. H. : ce point fait en effet partie des réserves de certains spectateurs et critiques, et je l’accepte. Je ne l’ai cependant jamais vécu. La réalisatrice avait la contrainte du temps, ce qui l’a obligatoirement amenée à effectuer certains raccourcis. Jeanne Herry est une artiste, une metteuse en scène, une réalisatrice. Elle en a d’ailleurs parlé lors d’une avant-première à Aix-en- Provence. Elle a expliqué que son côté artiste a pris le pas sur la citoyenne qui a envie de porter sur la place publique un sujet d’humanité. Elle a réfléchi à ce qui pouvait être dit et fait au travers d’acteurs.
Certains spectateurs ont l’impression que la réalisatrice donne la part-belle aux victimes, notamment à travers les scènes de médiation avec Chloé (Adèle Exarchopoulos). C’est un parti- pris dramaturgique et artistique.
B.P. : oui, je suis d’accord avec Édith.

Certaines critiques ont dit que le film était trop empreint de bons sentiments, qu’avez-vous à leur répondre ?
É. H. : ce n’est pas du tout ce que je ressens et je m’inscris totalement en faux ! Mais je peux comprendre que quelqu’un qui ne connaît rigoureusement rien à la justice restaurative et qui la reçoit pour la première fois dans une salle de projection pendant deux heures émette des réserves.
La justice restaurative n’est en rien une rivale de la justice pénale, loin de là. Cette dernière doit bien évidemment être rendue et se faisant, elle confisque la parole des gens et la leur interdit, ce qui doit être une épreuve terrible pour eux. Le personnage de Sabine, interprété par Miou-Miou en témoigne d’ailleurs dans le film. Elle dit qu’elle se serait sentie mieux si elle n’avait pas été en procès. La justice doit cependant passer, l’auteur doit payer et la victime doit financièrement être indemnisée. Mais après ? Si les personnes se trouvent en souffrance et le souhaitent, la justice restaurative peut prendre le relais.

Avez-vous participé aux débats suivant les avant-premières ?
É. H. : j’ai participé à deux débats lors des avant-premières, en présence de l’équipe du film. Depuis sa sortie en salle et à la demande de l’IFJR, j’anime seule des ciné-débats autour de la justice restaurative avec le film en support. Nous sommes très sollicités par des associations et des salles de cinéma. L’émulation provoquée par ce film et son impact sur le public sont énormes. J’insiste sur le fait que ce film est une œuvre d’art et pas un documentaire, et sur le fait que la justice restaurative ne donne la part belle ni aux uns, ni aux autres. Elle est égalitaire entre les détenus et les victimes. Je ne suis pas là pour défendre le film, mais pour répondre aux questions que les gens posent sur la justice restaurative.
B.P. : pour ma part, je n’ai pas participé aux avant-premières, j’étais en Nouvelle Zélande à cette période. C’est un des pays pionniers en matière de justice restaurative grâce notamment aux pratiques ancestrales des Maoris.

Dans le cas des rencontres détenus-victimes, le film montre une pratique qui fonctionne à merveille, tout semble s’y dérouler sans heurts. Comment cela se passe-t-il dans la réalité ?
É. H. : rien n’est édulcoré. Les auteurs et les victimes sont longuement préparés en amont des rencontres en prison ou des médiations, par des professionnels spécialement formés à la justice restaurative avant d’être mis en présence les uns des autres. Les auteurs doivent obligatoirement avoir reconnu les faits. Les personnes ont déjà cheminé individuellement avant de se rencontrer. Le travail réalisé en amont par les animateurs est colossal. Ces derniers et les membres de la communauté se montrent très en retrait, ils laissent vraiment la parole aux victimes et aux détenus. Leur travail s’effectue presqu’exclusivement en amont et en aval. Lors des rencontres, ce sont les détenus et les victimes qui font le boulot.
Certains entretiens de préparation aux rencontres peuvent s’avérer plus difficiles. Une victime peut vouloir « casser de l’auteur », être dans un désir de vengeance, tout comme le personnage de Leïla Bekhti. Dans ce cas, l’animateur recadre la personne et précise que ce n’est pas le but des rencontres.
Lors des entretiens préalables, chaque personne explique pourquoi elle accepte d’entrer dans le processus. Dans la majorité des cas, c’est pour passer à autre chose et rompre avec sa souffrance. En amont, les animateurs travaillent beaucoup sur les émotions de chacun. Ils effectuent un travail remarquable. Ce sont des organisateurs doublés de psychologues hors-pair.
B.P. : le rôle du membre de la communauté me paraît dans le film un peu en-deçà de la réalité. Mais il est très difficile en deux heures de rendre compte de l’action d’un acteur de la justice restaurative. Son rôle tient surtout par sa présence, son soutien et ses encouragements. Le rôle du membre de la communauté est dans la posture, dans le savoir-être.

Pensez-vous qu’une œuvre de fiction comme celle-ci soit un bon outil pour faire connaître la justice restaurative ?
É. H. : oui ! Clairement oui ! La fiction est un chemin facile d’accès qui permet au grand public d’avoir une information dont il pourra se saisir ou pas par la suite.
B.P. : oui, certainement, même des magistrats m’ont fait part de leur découverte de la justice restaurative, non pas de son existence, mais de sa mise en œuvre concrète.

Comment pourrait-on surfer sur la vague de ce film et mieux faire connaître encore la justice restaurative ?
É. H. : en développant la diffusion du film et l’information sur cette pratique dans les établissements pénitentiaires, les associations d’aide aux victimes, les centres de protection judiciaire de la jeunesse… Ce film a suscité des vocations, c’est un tourbillon ! Depuis sa sortie, le grand public se presse à l’IFJR pour y officier en tant que bénévole.
B.P. : je pense que l’IFJR et surtout ses pionniers, qui y ont cru dès le début, peuvent être fiers de leur travail, car ils portent la justice restaurative en France. Ils voient avec ce film une sorte de retour de l’énergie déployée pour faire démarrer toutes ces mesures. L’action de l’IFJR va être déterminante pour la suite de l’aventure avec le coup de projecteur apporté par le film de Jeanne Herry.

Pensez-vous utile, voire urgent de faire changer le regard des gens sur l’image de la personne détenue en France ?
É. H. : oui. La justice restaurative, en donnant la parole de manière égale à chacun, en préparant longuement les personnes et en les mettant en présence les unes des autres avec l’assistance des membres de la communauté (qui en tant que témoins leur montrent que la société s’intéresse à elles, cassent le couple détenu-victime et représentent un ciment social). Ce qui rend son humanité à chacun… auteurs compris. On chemine, on s’humanise et on se répare dans le regard et la parole de l’autre, qui que soit cet autre.
L’on entend souvent que les détenus sont nourris, logés et blanchis, ce qui est bien montré dans le film, mais ils en bavent quand même tous les jours. On ne va évidemment pas les plaindre pour autant, mais on va faire un pas de côté, les mettre à une place différente. Ils seront toujours des auteurs ayant commis une infraction ou un crime. Le miroir que représentent les victimes face à eux vont leur permettre de s’humaniser et peut-être de ne pas récidiver.
Se retrouver en prison peut arriver à absolument n’importe quel citoyen. Il suffit de circuler en état d’ébriété, de ne pas payer ses dettes, de se défendre face à un agresseur de façon disproportionnée et de le blesser… Tout un chacun peut être confronté à ces situations un jour ou l’autre.
La prison n’est pas la solution, elle ne doit pas être l’exception. De plus, une personne innocente peut se retrouver en maison d’arrêt dans l’attente de son procès, elle se retrouve brisée par la prison alors qu’elle n’est coupable de rien [cf. l’affaire d’Outreau NDLR].
B.P. : je partage totalement et complètement le point de vue d’Edith.

La justice restaurative a-t-elle une incidence sur la récidive ?
É. H. : c’est ce que pense la majorité des gens. Nous ne pouvons hélas pas le confirmer à ce jour.
Nous ne pouvons pas non plus affirmer qu’elle n’a pas d’effets, loin de là.


Propos recueillis par Aude Pivin et Marion Delisse
Aude Pivin est médiateure judiciaire et administrative.
Marion Delisse est médiateure, psychopraticienne et formatrice en médiation par les pairs.

(1) Édith Herrero est administratrice et bénévole au sein de l’IFJR, membre de la communauté, visiteuse de prison et formée en médiation.

Bernard Paix a été formé par l’IFJR comme membre de la communauté et comme animateur de médiation restaurative, visiteur de prison et formé en médiation généraliste.

(2) IFJR : Institut Français de la Justice Restaurative, institut mandaté et financé par le ministère de la Justice https://www.justicerestaurative.org/

(3) Films réalisés par Jeanne Herry : Elle l’adore (2014), Pupille (2018)

Pour en savoir plus, ce documentaire édifiant diffusé sur France Télévisions et accessible en replay :
https://www.france.tv/documentaires/rencontre-avec-mon-agresseur/4840060-emission-du-jeudi-13-avril-2023.html

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