Etonner pour débloquer les situations figées

Vous aussi vous avez dû connaître des moments comme celui-ci, où les parties tournent en rond, reviennent sans cesse au même point, avec les mêmes paroles, les mêmes postures. Campées sur leurs positions, elles peinent à sortir de l’orbite dans lequel elles sont engluées. Le temps passe et on sent que la séance glisse doucement vers l’impasse.

Dans ces moments-là, on se dit : « aïe, aïe, aïe ! Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire pour débloquer tout ça ! » Alors on tente de reformuler, de recentrer, de recadrer parfois même… mais malgré tous nos efforts, rien ne bouge. En désespoir de cause, on se dit : « je vais proposer une petite pause, histoire que ça leur change les idées (et les miennes par la même occasion) ». Au retour… Toujours pareil. Ils reprennent là où ils en étaient restés.  

Mais avez-vous déjà pensé à « déchoquer » le « patient » ? Par un geste inattendu, une phrase décalée, un objet posé sur la table. C’est ce qu’on appelle les « techniques d’impact ». Elles permettent de modifier très rapidement la perception qu’une personne a d’une situation.

Grâce à ce procédé, l’attention va se détourner instantanément de l’objet de la rumination. Le schéma rigide dans lequel la personne était enfermée va se fissurer. Grâce à ces techniques, vous donnez la poussée nécessaire pour sortir vos participants de l’orbite sur lequel leur cerveau en surchauffe les maintenait. 

Etonner n’est pas « choquer » dans le sens d’agresser ou de heurter mais plutôt de créer un léger décalage, une pichenette (parfois un peu ferme quand même, hein, on ne va pas se mentir) pour ouvrir une brèche dans le scénario que les parties se racontent.

Bien dosée, l’audace devient un outil puissant pour relancer la dynamique d’un échange qui s’enlisait.

Avec des « Techniques d’Impact » comme l’utilisation d’objets, de citations, de proverbes, de dessins, de questions puissantes ou encore de phrases ou d’images inspirantes, il est possible de faire évoluer presque immédiatement la perception qu’une personne a d’une situation. Pas pour la forcer à voir autrement mais pour l’inviter, lui montrer que c’est possible, et qu’il y a peut-être d’autres points de vue qu’elle ne pouvait pas voir depuis sa position. Ensuite, à elle de décider de ce qu’elle veut en faire…ou pas !

Quand l’inattendu libère la parole

Je me souviens d’une médiation entre deux frères, en conflit autour de la reprise de l’entreprise familiale, créée par leur oncle. L’un d’eux était plutôt de bonne volonté pour essayer de trouver des solutions, mais le second tournait en rond englué dans sa colère et ses reproches. Il reprenait sans cesse les mêmes arguments, sur un ton toujours plus tranchant.

Sans prévenir, j’ai sorti mes lunettes de mon sac à main (des lunettes que je n’utilise que pour ça, achetées dabs un bazar à 2€) et j’ai commencé à écrire sur les verres avec un feutre effaçable : rancune, colère, méfiance, ressentiment…en reprenant ce que j’entendais de leurs échanges. 

Silence. Les deux frères ont levé les yeux, interloqués. J’ai mis les lunettes sur mon nez et je leur ai demandé innocemment :
— « D’après vous, est-ce que je vois bien comme ça ? »
— « Euh…non, évidemment. »

__ « Eh bien, c’est la même chose pour vous. Avec la colère, le ressentiment, vous ne pouvez pas y voir clair pour avancer. »

Puis j’ai pris un mouchoir en papier et leur ai demandé en commençant à effacer les mots un à un : – «Ok, alors, comment peut-on faire pour atténuer cette colère, ce ressentiment… ? »

Ce geste simple mais totalement inattendu a tout changé. Les émotions se sont déplacées de la parole vers l’objet. La tension est instantanément redescendue. Et enfin, nous avons pu aborder les vraies peurs cachées derrière cette position figée et ultra agressive.

A partir de cet instant, le second frère (timidement mais c’était déjà une avancée énorme) a enfin commencé à proposer des solutions et à accepter d’entendre celles que son aîné avait déjà suggérées.

Dans ce cas, ce n’est pas l’objet lui-même qui a débloqué la situation. C’est l’effet de surprise qui a brisé le cycle répétitif du dialogue à sens unique.

Pourquoi cela fonctionne aussi bien ?

  • Sur le plan cognitif : parce que l’effet de surprise agit un peu comme une étincelle : il sort le cerveau de ses rails habituels et lui ouvre un champ des possibles où les nouvelles idées peuvent enfin émerger.
  • Sur le plan émotionnel : l’attention est déplacée vers un élément neutre ce qui apaise les tensions.
  • Sur le plan relationnel : ce décalage permet de créer un terrain commun, où on n’est plus en train de s’attaquer ou de se juger.

L’audace mesurée

Utiliser l’inattendu ne veut pas dire tout se permettre ni faire n’importe quoi, n’importe quand. Etonner c’est avant tout oser un pas de côté réfléchi et préparé. Voici quelques règles de base pour rester dans le cadre professionnel et garder toute sa crédibilité en tant que médiateur.

  • Choisir le bon moment: pas la peine d’introduire des techniques d’impact quand la conversation avance d’elle-même.

D’autre part, il est préférable d’attendre que la confiance soit déjà bien construite avec les personnes. Vous risqueriez de les « perdre » sinon et de passer pour un hurluberlu.

  • Rester cohérent avec sa posture : un médiateur calme et réfléchi peut surprendre avec un geste, une image décalée ou même une histoire humoristique sans perdre en crédibilité.
  • Ne jamais ridiculiser : l’effet recherché ici est l’ouverture vers d’autres possibles, pas la moquerie ou l’humiliation. Prudence avec les émotions et les ressentis des personnes.

L’audace efficace repose sur une écoute fine des émotions présentes dans la pièce et de la confiance que le médiateur a su installer.

Des outils simples pour surprendre

Etonner ne demande pas nécessairement de grands moyens. Ce sont souvent les choses les plus simples qui fonctionnent le mieux.

  • Un objet symbolique: une simple feuille de papier que l’on froisse peut venir représenter la relation dégradée. Accompagnée de la question : « comment fait-on maintenant pour lisser de nouveau cette relation ? Pas pour la faire redevenir comme avant, car ce n’est pas possible, mais du moins pour qu’elle soit moins douloureuse ?», cette feuille peut aider à avancer dans la recherche de solutions constructives.
  • Une question déroutante : « Si je demandais à votre conjoint (ou à votre meilleur ami) ce qu’il en pense, il me dirait quoi ? » ou encore « Si j’étais la fée Clochette, vous me demanderiez quoi ? » Ces questions, inhabituelles mais bienveillantes, obligent à changer de perspective.
  • Un proverbe bien placé : à quelqu’un qui me dit « allons au procès » je réponds sans détour : « Connaissez-vous ce proverbe africain qui dit que « Gagner un procès, c’est acquérir une poule en perdant une vache » ? »

Ou encore « à une personne qui pense qu’elle est bloquée et ne peut rien faire dans sa situation, je dis souvent : « il y a un proverbe russe que j’aime beaucoup et qui dit : « tu peux attendre que Dieu te donne des pommes de terre, mais plante des choux en attendant. » Une autre version, à mon sens, un peu moins brusque de « aide-toi, le ciel t’aidera ». 

Il est important de garder en tête que ces techniques n’imposent rien, elles proposent. C’est aux personnes de choisir ce qu’elles en font… ou pas.

En osant ce pas de côté, le médiateur invite les parties à comprendre qu’elles ne sont pas figées dans leur scénario. Il suffit de poser un acte simple, pertinent et respectueux pour tout débloquer. Elles rappellent que le rôle du médiateur n’est pas de forcer la résolution mais de créer les conditions pour que les personnes puissent elles-mêmes envisager d’autres possibles.

Et si, dans votre prochaine médiation vous osiez ce pas de côté ? Pas pour bousculer mais pour que tout redevienne possible.

Carole Friedrich, médiatrice et formatrice, est la référente françaisedes
« Techniques d’impact en&nbspmédiation » et auteure d’Audace & Créativité en Médiation (2020).
Elle forme les médiateurs à la créativité et accompagne les organisations face aux situations de crise.

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