“Bien que médiateurs, nous ne sommes pas vaccinés contre les difficultés relationnelles…”

Manuel Calvo nous a quittés récemment et c’est avec émotion que nous lui rendons hommage grâce à cet entretien qu’il nous avait accordé en mai 2022.
Manuel a tellement œuvré pour la paix qu’elle ne peut que lui avoir laissé une place de choix pour se reposer à ses côtés.
Nous transmettons à sa famille et à ses amis nos plus sincères condoléances.

Membre du comité de pilotage de Médiation 21 (1), Manuel Calvo pratique la médiation humaniste. Il s’est confié sur son engagement pour l’exigence de formation et de qualification des médiateurs, et sur des problématiques liées aux groupes.

C’est en lisant un livre sur le conflit que j’ai pris conscience de l’aspect technique de la médiation. Mais mon apprentissage auprès de Jacqueline Morineau (2) m’a permis de vite me rendre compte que c’était loin d’être le cas !
Contrairement à ce que j’avais imaginé, la médiation ne représente pas un chemin unique permettant systématiquement aux gens de s’entendre et de résoudre leurs conflits. Si la médiation humaniste est contre-intuitive pour tout le monde, elle l’a été particulièrement pour moi. J’apprends depuis longtemps, mais je suis loin d’être arrivé. Elle me fait sortir de ma zone de confort et de ce qui serait une démarche rationnelle afin de “gérer le conflit”. Actuellement à la retraite depuis cinq ans après une carrière d’ingénieur, je pratique aussi bien la médiation humaniste pour des conflits opposant des personnes ayant des irritations particulières allant au-delà du problème tel qu’il apparaît, que des formes de médiation plutôt orientées problèmes/solutions quand il s’agit de médiations collectives.

Un manque préjudiciable
Les exigences de formation et d’agrément des médiateurs me semblent primordiales. C’est d’ailleurs un de mes chevaux de bataille au sein de Médiation 21. Nous sommes en train de repenser ces exigences en raison de la loi sortie récemment (3), prévoyant la création du Conseil national de la médiation (CNM). Cette loi a malheureusement occulté le problème de l’agrément des médiateurs. Pour pallier ce manque, qui nous semble préjudiciable, nous sommes en train de réfléchir à une qualification dépendant de Médiation 21. En effet, nous pensons qu’il faut définir des règles de professionnalisation, mais sans trop réglementer pour autant, afin que cela ne représente pas un carcan excessif. Ces règles concernent essentiellement la formation, initiale et continue, l’analyse de la pratique et l’adhésion à un code de déontologie. Ce dernier serait un socle commun qui n’exclurait pas pour autant la possibilité d’avoir des codes particuliers en fonction du type de médiation ou des entités.
Médiation 21 a été consultée en vue de la préparation des décrets d’applications de la loi. Nous sommes inquiets du peu de place qui serait donné aux médiateurs praticiens dans le CNM, majoritairement composé de juristes. Une pétition a été lancée par Médiation 21 pour que le CNM soit composé majoritairement de praticiens de la médiation. Nous avions aussi le souci que pour certains médiateurs, essentiellement des juristes, le CNM devait être concerné exclusivement par la médiation judiciaire, et non pas par la médiation conventionnelle. Il semblerait que l’intention actuelle soit que le périmètre du CNM couvre bien toutes les médiations, ce que nous défendions.

Des réflexes humains
Une des intentions de Médiation 21 à sa création était de faire en sorte que les médiateurs parlent d’une seule voix, en particulier auprès des pouvoirs publics, mais pas seulement. C’était une des critiques faites aux entités liées à la médiation. Parler d’une seule voix est évidemment impossible, mais nous nous efforçons de travailler ensemble au sein de Médiation 21, avec le principe que nos différences dans les domaines de médiation représentent avant tout une richesse. Ce collectif a une volonté de collaboration et de collégialité qui me semble très saine, même si la collégialité peut impliquer à certains moments une perte d’efficacité. Mais, au-delà de notre travail interne, je souhaite que nous puissions dialoguer facilement et qu’il y ait plus de liens de confiance avec d’autres entités étrangères à Médiation 21, sans nous voir mutuellement comme des concurrents. Nous n’avons peut-être cependant pas assez œuvré dans ce sens et, bien que médiateurs, nous ne sommes pas vaccinés contre les difficultés relationnelles. Eh oui, nous avons les mêmes problèmes que tous les êtres humains ! Le CNM pourrait être utile à cette cause, et j’espère qu’il permettra de servir la collaboration plutôt que la concurrence.
Souvent, dans les conflits, le problème semble facile à résoudre, et il l’est sûrement ! Mais il inclut des problématiques de confiance réciproque, d’appartenance à un groupe qui devient une identité. L’identité des groupes existe-t-elle ou bien faut-il seulement parler d’identités individuelles ? Nous appartenons à des groupes tout en ayant notre propre identité individuelle, mais parfois, nous nous comportons comme si notre identité incluait le groupe et qu’une atteinte à celui-ci était en fait une atteinte personnelle. Et parfois, le groupe se comporte comme s’il était une personne et réagit face aux personnes en oubliant sa mission.
Étant impliqué dans plusieurs associations, je suis frappé, voire secoué, par la question de l’appartenance. Comment se fait-il que le groupe se comporte comme s’il avait un monde à l’extérieur et un autre à l’intérieur, l’extérieur étant vu comme une menace ? Comme si le groupe était une entité humaine et qu’il fallait qu’il se défende de tout ce qui apparaîtrait comme un danger pour lui, alors que ce n’est pas nécessairement le cas, au prix parfois de se comporter en contradiction par rapport à ses propres valeurs et en particulier en oubliant “l’humain”; malgré les principes fièrement affichés.

De l’importance des valeurs
En tant que protestant, je fais partie d’un groupe d’églises représentant une cinquantaine de paroisses en France. Je suis le responsable laïque des questions concernant les pasteurs pour ce groupe d’églises. C’est grâce à mon expérience de la médiation et des collectifs en général que, depuis plusieurs années, je suis amené à intervenir en cas de conflit dans les paroisses. Ces conflits portent presque systématiquement sur les valeurs. Ces dernières y sont souvent utilisées contre l’autre partie. C’est douloureux de voir que ces personnes peuvent aller à l’encontre de leurs valeurs quand elles ont l’impression qu’elles – ou le groupe auquel elles appartiennent – sont en danger ou qu’elles considèrent que leurs convictions prévalent sur toute autre considération. Dans certaines situations, les valeurs comme la fraternité, la justice, deviennent des armes contre autrui au lieu d’être des éléments d’unité.
La question de la valeur de chacun m’importe particulièrement. C’est un des éléments cruciaux en médiation humaniste : des valeurs telles que la justice, la liberté, la responsabilité, etc., mais aussi la valeur de l’être humain en général. Cette prise de conscience réciproque de la valeur que l’on s’accorde, et de celle que l’on accorde à l’autre quand il compte pour nous, est essentielle, voire transcendante. Je suis très touché lors des médiations humanistes de voir la part la plus belle d’une personne se révéler à la fin de la rencontre. Les individus trouvent une amplitude qu’ils n’avaient pas en arrivant. C’est un moment extraordinaire qui vaut la peine que nous nous donnons en médiation. Tous autant que nous sommes, nous doutons à certains moments de notre valeur. Il est donc très important que l’autre nous la montre régulièrement. Cela nous permet de garder des liens durables avec les autres. Puisque l’autre révèle notre propre valeur, lui révéler la sienne ne relève pas de l’altruisme, mais d’un “égoïsme sain”.

Propos recueillis par Marion DELISSE

(1) Médiation 21 est un collectif œuvrant pour la médiation en France. Il est à l’origine du Livre blanc de la médiation, élaboré en 2017 et remis à la garde des Sceaux en 2019.
(2) Jacqueline Morineau est à l’origine de la médiation humaniste, qu’elle développe depuis plus de 40 ans, notamment au sein du CMFM qu’elle a créé, puis en tant que présidente d’honneur du CEMA.
(3) Loi du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

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