Unir pour transmettre
par Parole de Médiateurs · 3 décembre 2025
Une famille bordelaise, à la tête d’un domaine viticole florissant, doit organiser sa transmission. Entre tensions et aspirations divergentes, elle choisit une approche innovante, Future Search, afin de dépasser les conflits.
Un jour, Delphine, une collègue médiatrice, me sollicite pour une intervention dans la région bordelaise (1). Deux parents, quatre enfants et leurs conjoints doivent organiser la transmission d’un domaine viticole de 250 hectares, auquel s’ajoutent 120 hectares en location. L’entreprise familiale, qui produit et distribue du vin jusqu’au Japon, emploie soixante salariés. Elle propose aussi des dégustations dans son château, où une partie de la famille vit également. Les Tourrière comprennent aussi quatre autres grandes maisons anciennes dans la région. Et comme dans chaque famille, il existe des tensions, parfois vives, entre ses membres.
Albert, notre contact initial, troisième enfant, âgé de 32 ans, espérait simplement « améliorer la communication » en faisant appel à nos services. Les entretiens préliminaires révèlent des blessures profondes : suspicions, colères, manque de reconnaissance. Mais ils permettent aussi d’identifier des sentiments plus nobles, comme de l’amour, ainsi que des préoccupations communes : gouvernance future, équilibre entre projets individuels et entreprise, place de chacun dans l’entreprise, communication, distance et proximité.
Nous leur proposons deux approches : traiter directement les conflits ou adopter la méthode Future Search, centrée sur une vision commune de l’avenir. Contre toute attente, ils choisissent cette dernière. Une décision qui fait sens. Quoi de mieux, en effet, qu’un transfert de patrimoine pour imaginer l’avenir ensemble ?
Future Search, une approche innovante
Développée par Marvin Weisbord et Sandra Janoff dans les années 1980, Future Search favorise la coopération autour d’objectifs communs. Peu connue en France, elle repose sur cinq principes:
- Implication des parties prenantes en amont
Six membres de la famille coconstruisent l’atelier à travers cinq réunions en visioconférence. Ils déterminent le cadre thématique, les participants de l’atelier, la composition des groupes, le lieu, les invitations à envoyer, les actions de suivi et encore d’autres détails de préparation Ce travail apaise déjà certaines tensions. Les aînés réalisent qu’ils peuvent collaborer sans malveillance. Wittgenstein avait raison.
- Rassembler tous les participants dans une même pièce pour une durée indéterminée Pendant, en général une cinquantaine d’heures, incluant deux nuits de sommeil, famille élargie, amis et collègues se réunissent. Ces tiers, dotés de recul, offrent un regard extérieur précieux. La dimension économique du projet se clarifie et s’équilibre avec d’autres priorités : innovation, responsabilité sociale et environnementale.
- Adopter une perspective historique et globale
Le travail pendant l’atelier principal commence avec une perspective historique et globale de la situation. En retraçant les événements passés et les tendances actuelles, les participants prennent conscience des défis à relever. Plusieurs sujets forts émergent : la santé mentale, enjeu pour la famille comme pour les salariés, ou encore « être vigneron comme cœur de métier ». Les participants réalisent aussi qu’ils partagent le monde instable actuel.
- Chercher un terrain commun plutôt que gérer les conflits
Plutôt que de s’enliser dans les différends, les participants définissent des scénarios d’avenir. Ce qui rassemble est approfondi, ce qui divise est noté sans être traité immédiatement. La formulation du terrain en commun devient un moment de célébration dans l’atelier. Des pistes concrètes émergent, de la gouvernance à la prise en compte de la santé mentale, en passant par de nouvelles formes d’organisation, avec des délimitions claires entre les projets individuels, l’entreprise et des impératifs économiques.
- Autogestion des participants
Chaque petit groupe désigne un leader, un scribe et un porte-parole. Mais l’exercice est imparfait : nous intervenons trop souvent pour rappeler le temps restant imparti. Aussi tout à la fin, nous ne structurons pas très clairement les groupes de planification et il s’avère que tous les conflits ne sont pas résolus. La blessure entre un des enfants et un conjoint devient palpable et crée un malaise. Wittgenstein n’a pas encore gagné. Mais le conflit est apparu beaucoup plus clairement dans le système entier et une participante suggère des pistes pour les résoudre. Une médiation classique. Sa réussite demeure encore en suspens.
Un bilan positif, malgré des tensions résiduelles
Les retours sont encourageants (8,6/10). Les participants saluent la diversité des ateliers, l’écoute, la projection à long terme. Certains suggèrent d’approfondir le passé ou d’accorder plus de temps au plan d’action. Une conclusion revient : « Il reste du chemin, mais nous avons avancé. » Peut-être faudra-t-il, à terme, organiser une médiation plus classique. Mais en attendant, Future Search a permis de faire émerger des solutions et, pour certains, de voir leur problème disparaître. Un participant écrit dans son évaluation : « Meilleure compréhension de l’implication de chacun, je me suis sentie écoutée et utile, émerveillement face à l’intelligence collective. »
Merci Wittgenstein.
(1) Certains faits sur ce cas ont été changée pour garantir l’anonymat.
Yorck von Korff
Médiateur, formé en pratique des constellations
Future search, mode d’emploi
Cette méthode est un laboratoire d’expérimentation, produit de plusieurs décennies d’études sociologiques, sociétales et psychologiques du comportement humain. Développée par Marv Weisbord et Sandra Janoff, elle vise, dans un monde complexe, en perpétuelle et rapide évolution, de permettre à des groupes et des systèmes de trouver des visions communes, d’agir de manière responsable et de progresser ensemble, en s’engageant sur des actions continues.
Voici quelques principes de base de la méthode :
Toutes les personnes concernées par une question ou un problème doivent être présentes.
- Le problème aussi est placé de manière que chaque personne puisse en avoir une vision aussi large que possible.
- Les problèmes ou conflits sont traités comme des informations. Ils sont le point de départ pour trouver des terrains d’entente et des visions d’avenir.
- Chaque participant s’autogère et assume sa responsabilité d’agir au fur et à mesure de l’évolution de la démarche.
Les adeptes de cette méthode sont convaincus de son efficacité, confirmée par les résultats suivants :
- Les participants partagent une vision commune
- L’inclusion d’un maximum de participants favorise le travail d’équipe et l’engagement
- L’approche collective est idéale et permet de résoudre des problèmes complexes par des solutions innovantes et créatives
- Les participants se font confiance
- Le travail collectif conduit à des stratégies durables






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