Négociation : TRUMP the ART of the DEAL

À la lumière trop écrasante de l’actualité et du flot incessant de ses nouvelles, nous nous sentons quelquefois perdus. Pour cette raison, nous vous proposons cette nouvelle rubrique de décryptage. Éric De Cozar, CEO & Founder at Harmodeal, spécialiste en la matière, formateur et stratège, nous brosse un tableau de la méthode Trump. Serait-elle vraiment efficace ? Du monde des affaires à celui de la politique, peut on appliquer les mêmes procédés ?

Dans son livre The Art of the Deal, publié en 1987 et co-écrit avec le journaliste Tony Schwarz, l’homme d’affaires Donald Trump livrait (en plus des aspects hagiographiques) quelques conseils de gestion et une technique de négociation pour réussir en affaires. Environ trente ans plus tard, lors de son élection à la tête des États-Unis en 2016, il annonçait vouloir appliquer à la diplomatie les mêmes méthodes développées dans cet ouvrage. Quelle est donc cette méthode ? Est-elle efficace ? Quels en sont les risques ? Autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre.

En quoi consiste la méthode Trump ?

En guise d’introduction à son discours de la méthode, Donald Trump déclarait dans son opus : “Mon style de négociation est très simple et direct. Je vise très haut et puis je continue à pousser et pousser et pousser jusqu’à obtenir satisfaction. Parfois, je me suis contenté de moins que ce que je cherchais, mais dans la plupart des cas, je finis tout de même par obtenir ce que je veux.” Parmi les différents points de sa technique, certains sont spécifiques au marché immobilier dans lequel il opérait, mais d’autres sont applicables à différents types de négociation, notamment :

“Think big” : viser haut, être ambitieux, ne pas avoir peur de gagner, oser.

“Maximise your options” : se montrer flexible, envisager un maximum d’options à échanger.

“Use your leverage” : ne pas montrer qu’on a besoin du deal, convaincre l’autre que c’est dans son intérêt de le faire.

“Get the word out” : parler fort, attirer l’attention même si c’est de manière négative, cela impressionne l’autre.

“Fight back” : être prêt pour le combat, et même l’agressivité si nécessaire.

Mais, au-delà de ce que l’on peut tirer de son livre, et si l’on devait résumer la manière de négocier de Donald Trump sur la base de ses actes, on pourrait dire qu’il applique les trois tactiques suivantes :

  • créer la tension : théorisée par le chercheur Roberto Cialdini, cette tactique consiste à faire monter la tension pour obtenir davantage de contreparties lorsqu’on la fait redescendre. L’interlocuteur, craignant le conflit et ses conséquences, se trouve tellement soulagé lorsque la pression retombe qu’il est tenté d’accepter des demandes qu’il aurait refusé dans un autre contexte.
  • déstabiliser en créant un “ascenseur émotionnel” : souffler le chaud et le froid, user de brutalité puis se montrer conciliant, ceci afin de faire perdre ses repères et ses réflexes professionnels à son interlocuteur.
  • utiliser son pouvoir de nuisance : utiliser la force de dissuasion, laisser planer les pires menaces pour faire plier l’autre.

C’est notamment ce qu’il fait lorsqu’il menace la Corée ou la Russie de les noyer sous un déluge de missiles. Il monte très vite et très fort dans le niveau de menace et envoi des tweets très agressifs pour générer cette tension, il l’exacerbe puis adoucit sa communication et se montre ouvert à la discussion, voire charmeur.

Dans tous les cas, on retrouve les méthodes brutales de businessman dont Donald Trump se vantait pour conclure des marchés : alterner gifles et caresses, tordre le bras de ses interlocuteurs sur le mode “Retenez-moi ou je fais un malheur !”

 Est-ce efficace ?

Lorsque l’on voit la Chine annoncer qu’elle compte lever les taxes sur les véhicules américains ou encore accepter d’importer du riz et du soja pour équilibrer la balance commerciale entre les deux pays (décembre 2018) on est tenté de constater que les États-Unis n’avaient jamais obtenu de telles concessions en utilisant les moyens diplomatiques classiques.

Et si l’on considère que la Corée est sincère lorsqu’elle signe un accord dans lequel elle s’engage à “une dénucléarisation totale de la péninsule coréenne” (12 juin 2018), on est obligé de reconnaître une certaine efficacité de la méthode Trump.

Enfin, lorsque la Russie, après avoir menacé les États-Unis de détruire leurs missiles et leurs plateformes de lancement s’ils s’en prenaient au régime en place en Syrie, a finalement décidé de  retirer ses navires de guerre du port de Tartous, la veille de l’envoi annoncé de missiles américains, il semble donc que les tweets outranciers et menaçants de Mr Trump aient eu l’effet escompté.

Mais attention, ce qui peut paraître efficace à court terme peut se révéler fatal sur la durée. Gare au retour de bâton, ces succès apparents peuvent se trouver être des victoires “à la Pyrrhus” ! [victoire obtenue au prix de très lourdes pertes, ndlr]

D’ailleurs, on parle beaucoup de ces quelques coups d’éclat, mais on occulte certains échecs. En effet, sur la scène internationale, sa méthode brutale ne semble pas fonctionner à tous les coups. Le président américain avait promis de revenir sur plusieurs accords signés par l’administration Obama pour en tirer des termes plus favorables. Il est certes sorti de l’Accord de Paris et du traité de non-prolifération nucléaire avec l’Iran, mais quid de ceux avec Cuba, de l’Unesco et du G7 au Canada ? Celui qui se vante de ses talents de négociateur voit la liste des deals avortés s’allonger.

Quels sont les risques ?

Coups de génie ou coups de folie ? Trump a-t-il, un seul instant, envisagé d’anéantir la Corée du Nord ou la Russie ? Envisagé de déclencher avec la Chine une guerre commerciale susceptible d’entraîner des conséquences économiques monstrueuses pour son propre pays ? Qui sait ? Toujours est-il qu’en brandissant la menace, il s’est exposé à provoquer une rupture irrémédiable de la négociation et à provoquer des catastrophes. Comme le disait Warren Buffett : “À ce jeu-là, la moindre erreur d’appréciation peut s’avérer fatidique.”

Cette stratégie manque de vision à long terme et de prise de conscience des conséquences. Certes, l’économie américaine semble bénéficier de ces mesures à court terme, mais l’économie globale est impactée négativement. Les bourses en 2018 ont fortement reculé et un risque de crise financière plane.

Par ailleurs, il s’expose à un retour de bâton. Les partenaires contraints et humiliés peuvent être tentés de se venger. N’oublions pas que la Chine détient une bonne partie de la dette américaine.

Ensuite, ces techniques de négociation extrêmes fonctionnent rarement sur la durée. Une fois la surprise passée, les autres s’organisent pour mieux résister à la pression. La preuve en est que ses tweets rageurs semblent être de moins en moins pris au sérieux.

Enfin, ces petites victoires à court terme risquent de provoquer une perte de leadership des États-Unis sur la scène internationale. Ainsi en est-il allé du Pacte transpacifique, qui organisait le cantonnement économique et commercial de la Chine, et que les États-Unis, conscients de l’énormité de l’erreur stratégique d’en sortir en 2017, cherchent vainement à réintégrer. C’est également le cas concernant le retrait de l’accord de Paris sur le climat de décembre 2015, qui abandonne le leadership de l’économie de l’environnement à Pékin. C’est aussi vrai pour la dénonciation de l’accord de Vienne de juillet 2015 sur le nucléaire iranien, qui provoque l’envolée des cours du pétrole, mettant en péril la reprise mondiale, et une dangereuse escalade militaire au Moyen-Orient. Pour l’instant, celui qui n’a de cesse de se présenter comme le meilleur des “deal makers” se révèle surtout être un serial deal breaker. Incapable de construire, il se contente de défaire.

En outre, le président controversé devra assumer une contradiction supplémentaire. Son pays a été désigné avec le Mexique et le Canada pour organiser la Coupe du monde de la FIFA en 2026. Il va donc devoir collaborer avec ses deux partenaires, alors même qu’il veut construire un mur à la frontière du Mexique et remettre en cause l’ALENA, le traité de libre-échange avec ses deux partenaires économiques. La suite des négociations s’annonce donc passionnante.

Éric De Cozar

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