Médiation Korian : quels enjeux et quelles perspectives ?

Entretien avec Claude Czech, le Médiateur Korian France, réalisé par Tine Roth

Novembre 2022 (article initialement paru dans Die Mediation octobre 2023 et The Mediation 2022)

Suite aux engagements pris par le groupe Korian concernant la mise en œuvre de sa politique en matière de Responsabilité Sociale et Environnementale, Claude Czech, magistrat honoraire, a été nommé Médiateur Indépendant pour Korian France. Ancien président du tribunal de grande instance d’Avesnes-sur-Helpe et vice-président de l’Institut régional de médiation d’Occitanie (IRMOC), il nous explique comment il espère pouvoir rétablir le dialogue entre les familles, les résidents, le personnel soignant et la direction dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) gérés par Korian. 

TR : Monsieur Czech, pouvez-vous nous dire comment s’est faite votre nomination chez Korian ?

CC : Ma nomination chez Korian est le résultat d’un processus récent et aussi le fruit d’une histoire. Contacté au préalable par Thomas Prétot, directeur Médiation chez Korian, j’ai été désigné, en juin 2021, comme Médiateur indépendant de Korian en France pour une durée de trois ans par un collège constitué paritairement de représentants de l’entreprise et d’associations de défense de consommateurs agréées, après avis de son Conseil des Parties Prenantes.

Je suis médiateur diplômé de l’Université Paul Valéry de Montpellier depuis 2017. Je suis arrivé à la médiation par la conciliation que je pratiquais habituellement dans mes fonctions de juge d’instance. J’ai ordonné des médiations, dès 2001, en matière d’affaires familiales. Aujourd’hui, l’office du juge comporte trois missions qui sont de trancher le litige par un jugement, de tenter la conciliation des parties ou de recourir à une médiation. En 2018, j’ai organisé à Bordeaux les Assises du Groupement européen des magistrats pour la médiation (Gemme) sur le thème « Développer une culture de la médiation ». C’est fondé sur cette expérience et celle de juge des tutelles, que j’ai été sensible au souhait de Korian d’introduire la médiation dans les Ehpads afin d’apporter une réponse raisonnée et apaisée aux tensions survenant entre les familles et les professionnels qui y travaillent.

TR : Monsieur Czech, vous dites « introduire la médiation chez Korian». Pourquoi, selon vous, cette modalité de résolution amiable des conflits n’est-elle pas plus répandue dans le monde de l’entreprise ?

 CC : En effet, la France paraît être un pays de conflits et non de compromis. C’est, à mon sens, la raison principale pour laquelle la médiation, en tant que mode alternatif de résolution de conflits, tarde à s’inscrire dans le paysage français. J’ai mené une enquête sur les facteurs de résistance à la médiation pour mon mémoire, intitulé « Les résistances sociétales à la médiation ». Et il s’avère que, malgré un cadre légal favorable à la médiation, les réticences persistent et sont essentiellement culturelles. L’encadrement juridique de la médiation est ici très important, car il doit rassurer les justiciables. Or, la loi du 8 février 1995 et son décret d’application ont pourtant instauré un cadre préservant les droits des parties. Ils énumèrent les principes de la médiation tant judiciaire que conventionnelle, à savoir l’impartialité, l’indépendance, la compétence et la diligence du médiateur, et apportent toutes garanties utiles.

Toutefois, si le processus paraît stagner dans le monde judiciaire, il connaît un véritable essor dans les sphères de la vie civile, sociale, économique ou administrative. Depuis l’ordonnance du 20 août 2015 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation – qui est la transposition de la directive européenne du 21 mai 2013 – la médiation bénéficie aussi d’un espace supplémentaire permettant de résoudre les litiges entre professionnels et consommateurs, lors de l’exécution d’un contrat de vente ou de prestation de services.

TR : Le travail est un lieu où forcément se côtoient des points de vue différents voire divergents, en l’occurrence pour ce qui nous concerne ici, celui des personnes âgées dépendantes, des familles, du personnel soignant, des logiques financières. Comment faites-vous pour rétablir le dialogue en cas de désaccord ?

CC : Tout à fait. L’enjeu est d’être en mesure d’écouter les familles, les résidents, mais aussi les professionnels travaillant dans ces établissements. Les familles ont besoin d’être rassurées. Les personnes âgées ont besoin d’attention et d’être écoutées, avec parfois les difficultés que cela implique, en terme de disponibilité ou de capacité. Les conditions de travail du personnel sont à prendre en compte. Devant quels choix contraints est-il placé lorsqu’il est en sous-effectif ? Le manque de personnel, les « faisant fonctions », la formation, sont cruciaux sur le plan du fonctionnement et de l’organisation du travail dans les Ehpads et cliniques. Ces structures connaissent des difficultés de recrutement, comme d’autres secteurs. Mais on y rencontre aussi des personnes ayant une belle longévité dans leur activité. Je crois aux vertus de l’écoute, d’une parole posée et du souci de comprendre pour la « connexion » de deux humanités. Ces éléments, comme la reconnaissance, agissent comme un baume.

J’ai perçu ces difficultés avant de m’engager avec le groupe Korian. Mais j’ai été sensible à cinq éléments exprimant le souci de la « vulnérabilité » : les salariés de l’entreprise sont tenus au respect d’une charte éthique ; à son entrée, le résident fait l’objet d’une évaluation de sa dépendance de façon positive, en vue d’un suivi individualisé ; sa prise en charge s’effectue  selon la démarche humaniste du « positive care » ; les établissements sont soumis à des audits internes ; la création d’une cellule de médiation, qui dispense une culture du dialogue.

TR : C’est là que vous intervenez. Quels sont vos projets pour la médiation chez Korian ?

Après avoir rédigé, avec M. Pretot, une charte de la médiation, visible sur le site internet dédié à la médiation chez Korian, j’ai établi un protocole pour sa mise en œuvre, en déclinant notre action en trois axes. Le premier tend à instiller une culture de la médiation dans les établissements par la formation du personnel, des conférences et l’affichage de messages destinés aux résidents, aux familles et aux soignants. Ces affichettes auront pour but de sensibiliser et familiariser l’ensemble des personnes présentes sur ces lieux de vie à l’esprit de la médiation, comme par exemple « Nous sommes solidaires, vous avez besoin de nous et nous de vous ». Cela devrait contribuer à la pacification des relations et stimuler la confiance. Le deuxième axe tend à renforcer la médiation curative – de la consommation et conventionnelle – en réduisant la durée de traitement des différends et par un travail sur la conflictualité pour mieux les identifier. Gagner du temps sur le conflit évite l’installation de climats délétères. Le dernier axe vise à introduire la médiation préventive dans les Ehpads afin d’identifier toutes occurrences de tensions potentielles, lors des prestations à accomplir, et d’éviter la dégradation des situations ou l’émergence d’un conflit. Une expérimentation dans deux sites pilotes va être lancée à cet effet. Attendons de voir.

TR : Je vous remercie chaleureusement pour cet entretien.

 

Magistrat honoraire et ancien formateur à l’Ecole Nationale de la Magistrature (ENM), Claude CZECH a présidé le tribunal de grande instance d’Avesnes-sur-Helpe (59) jusqu’en 2014. Médiateur diplômé de l’Université Paul Valéry de Montpellier (2017), il est membre du Groupement européen des magistrats pour la médiation (Gemme), dont il a organisé les Assises en 2018, à Bordeaux, sur le thème « Développer une culture de la médiation ». Il est aussi vice-président de l’Institut régional de médiation d’Occitanie (IRMOC) et, à ce titre, a conçu le programme du colloque intitulé « La médiation et les situations de vulnérabilité », qui s’est tenu à Béziers, en juin 2022.

Tine Roth est formatrice en analyse du travail et médiatrice certifiée en entreprise. Elle intervient principalement dans le champ de la prévention des risques psychosociaux dans des établissements médico-sociaux et les Ehpads. Elle est docteure en philosophie du travail et elle a participé à un projet de recherche européen sur le bien-vieillir entre 2020 et 2022.

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