Médiation & innovation

En France, la crise sanitaire du Covid-19 a révélé la médiation comme un mode innovant de résolution des différends. Malgré la paralysie des institutions judiciaires (tribunaux à l’arrêt pendant plusieurs mois), l’entrave des familles confinées et des entreprises forcées au télétravail, les médiations ont continué à se dérouler sans interruption. Les médiateurs se sont adaptés, ils ont innové, comme leur suggère en permanence la discipline qu’ils exercent.

“Une constante recherche d’amélioration de l’existant.” Cette définition de Wikipédia sur l’innovation caractérise tout aussi bien la médiation ! Les médiateurs se sont adaptés, ils ont trouvé et appliqué des solutions inédites et innovantes. Ils sont parvenus à dématérialiser leur activité dans le respect de la sécurité et de la confidentialité du processus de médiation, tout en préservant le lien humain indispensable à son accomplissement. Même derrière un écran, ils ont su rester – et restent à ce jour – pleinement présents au service de l’humain. Médier, c’est créer autrement, à chaque situation. L’innovation est inhérente à la médiation, de manière structurelle et aussi de manière conjoncturelle par ses évolutions, ses propositions.

Une innovation structurelle

Chaque médiation constitue une innovation en soi, en ce sens qu’elle permet aux participants de transformer leur relation. Par sa proposition d’autonomisation (“empowerment” en anglais), elle responsabilise l’être humain pour lui permettre d’agir sur son existence et son environnement.
“Innovation” vient du latin innovare qui signifie “revenir à, renouveler”. Lorsque l’on innove, se produit un changement de l’intérieur, changement qui apporte de la nouveauté à un état donné. Entrer en médiation, c’est innover. C’est réfléchir sur ce que l’on ressent, ce que l’on pense, ce que l’on fait. C’est tenter de comprendre ce qui ne fonctionne pas, se remettre en question, se dépasser pour procéder aux changements et aux adaptations nécessaires, en vue d’améliorer sa situation. Ce processus peut se réaliser personnellement et aussi collectivement.
Ainsi, apprendre à mieux se disputer permet de rendre “la conflictualité productive” (1). La médiation change l’approche du conflit et le transforme en opportunité pour améliorer une réalité complexe. En ce sens, la médiation transformative apparaît comme un courant continuellement innovant. Elle encourage particulièrement l’autonomisation des participants. Les médiés déterminent ce qu’ils ont besoin de traiter, tant dans le contenu que dans le processus. Ce déterminisme leur appartient. Peu importe le chemin (pourvu qu’il reste légal), le médiateur ne les guide pas dans un cadre contraignant, il les soutient dans leur capacité à trouver un résultat qui leur conviendra.
Pratiquer la médiation, c’est faire le choix d’un autre mode de communication qui passe par une créativité libératrice. C’est aussi prendre la responsabilité de relever les défis du changement, car l’une des qualités majeures de la médiation réside dans sa capacité à provoquer l’émergence de solutions innovantes en faveur de l’individu, à condition qu’il s’en empare. Et c’est bien là où nous en sommes aujourd’hui : avoir le courage d’innover ! Et les périodes de crise sont particulièrement propices à l’innovation. Pour préserver les sociétés dans lesquelles notre espèce évolue, nos actions doivent changer. Cela passe notamment par une transformation de nos modes de communication et par une réhabilitation de la relation (entre soi et l’autre et entre soi et notre planète).
La médiation peut aider à cette transformation, en se mettant au service des individus dans leur vie personnelle. Pour répondre plus spécifiquement à l’urgente nécessité d’une transformation sociétale durable, elle peut aussi soutenir ceux qui composent les entreprises et les organisations.

Une innovation conjoncturelle

Il est temps, car il sera bientôt trop tard. La crise du vivant que nous traversons aujourd’hui individuellement et collectivement impose une prise de conscience : celle de la fin d’un cycle, celle d’une façon d’être et d’agir qui ne peut perdurer sans conséquences irrévocables, celle d’un nécessaire renouveau.
La médiation propose de replacer l’humain au centre d’une réflexion globale permettant de réhumaniser la relation. Plutôt que de financer le conflit souvent à perte, elle offre l’opportunité d’investir sur un lien relationnel constructif entre les êtres humains. Les entreprises et ceux qui la composent peuvent décider d’instaurer un dialogue social productif et d’en finir avec la stérilité des relations conflictuelles qui mettent en péril leurs structures. Grâce à cet acte de management courageux et innovant, qui consiste à intégrer la médiation dans leur organisation, les dirigeants d’entreprises et d’organisations peuvent déterminer leur avenir.
Rétablir la confiance entre toutes les parties prenantes de la société (internes et externes) constitue l’un des objectifs-clés pour atteindre ce renouveau souhaité. En effet, la médiation va bien au-delà de la résolution des différends. Parce qu’elle est avant tout écoute et dialogue au service de l’humain, elle (r)établit cette confiance qui prévient le conflit et contribue à la réussite des projets sociétaux.
Encore trop rare, la médiation de projet permet de faire aboutir des missions complexes (qui ne sont pas forcément à enjeux stratégiques et financiers élevés). Le médiateur soutient les équipes dans leurs relations, par son travail d’écoute active et de maintien de liens de confiance suffisants pour avancer dans l’intérêt des projets à mener.

Un outil au service de la RSE

En ce sens, la médiation constitue un outil innovant au service de la responsabilité sociétale des entreprises et des organisations (RSE/RSO). (2) Ce nouveau contrat sociétal consiste à proposer des dispositifs systémiques et systématiques de médiation et à la modéliser dans un programme global sur-mesure, au service de chaque entreprise qui souhaite engager sa transformation sociétale de manière durable et sincère. L’intérêt d’un tel programme réside dans la mise en place d’actions pragmatiques au service de toutes les parties prenantes des organisations qui composent nos sociétés.
Faire entrer la médiation dans les entreprises et les organisations, en intégrant les médiateurs dans les comités de pilotage des projets entrepreneuriaux, dans les comités éthiques, élaborer des plans de performance médiation, créer un conseil spécifique de la médiation, instaurer des commissions de médiation dans lesquelles les parties prenantes peuvent s’exprimer librement, en toute confiance et confidence, représentent autant de moyens innovants pour engager l’ère nouvelle dont nos acteurs découragés ont tant besoin. Un tel engagement en faveur du développement durable permet assurément de transformer la volonté d’un groupe en réalisations concrètes et efficientes.
Une pédagogie de la médiation reste nécessaire pour réussir cette transformation. Les médiateurs s’y emploient avec conviction, car leur discipline représente un espoir dans les épreuves que nos sociétés affrontent et les défis qu’elles doivent relever pour répondre aux besoins d’un développement durable mondial. “Innover au service du vivant”, telle pourrait être la devise en médiation.

Céline KAPRAL

Médiateure conventionnelle diplômée, médiateure judiciaire près les cours d’appel de Paris et Aix-en-Provence en matière civile, commerciale et sociale. Consultante, formatrice, conférencière, auteure.

(1) “La critique et la conviction”, Paul Ricoeur, éd. Fayard, 2013.
(2) “Étape Médiation®. La médiation au service de la responsabilité sociétale des entreprises et des organisations”, Céline Kapral, éd. Médias & Médiations, 2020.

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