Retour sur un évènement fondateur : les États Généraux de la Médiation (15 juin 2018)
par Parole de Médiateurs · 12 novembre 2018
Gabrielle Planès, Bertrand Delcourt, co-présidents du comité d’organisation des Etats Généraux de la Médiation, le 15 juin 2018
15 juin 2018, salle Victor Hugo, à l’Assemblée Nationale : 300 personnes se sont rassemblées pour vivre ensemble ce que Lise Casaux-Labrunée[1] a qualifié, en sa synthèse de cette journée, de « moment important de l’histoire de la médiation ». Médiateurs de tous horizons et issus de diverses pratiques, prescripteurs, magistrats des juridictions judiciaires ou administratives, universitaires, représentants du monde politique ont, le temps d’une journée, échangé sur la base des quelques 1500 contributions en réponse aux questionnaires conçus par une centaine de volontaires, que MEDIATION 21 avait mis en ligne sur le site www.etatsgenerauxmediation.fr. A l’issue de ces échanges, l’assistance a été consultée sur des projets de recommandation ou de résolution que des groupes de travail avaient élaborés à partir de ces contributions. Restituer ici la richesse des interventions est une gageure, mais il nous est apparu que les expressions les plus marquantes, sur lesquelles un consensus pourrait se dessiner, concernent l’éthique et la déontologie, la formation et la professionnalisation du médiateur, et enfin les conditions de représentation et le statut du médiateur.
De façon très majoritaire (91,04 %) les participants se sont prononcés pour l’adhésion à un code de déontologie unique et commun à tous les médiateurs, code dont Louis Schweitzer[2] a souligné qu’il devrait être « donné à tous, facile à lire, précis et invocable par toute partie ». Myriam Bacqué[3] a proposé que ce code comporte une définition de la médiation commune à toutes les pratiques. Nous ajouterons que cette définition devrait être opérationnelle, c’est-à-dire plus pragmatique que juridique, rejoignant ainsi Jacques Faget[4] qui a appelé à éviter, en matière de médiation, le « juridicocentrisme », en considérant par exemple que l’agrément des médiateurs devrait être le fait d’une commission impartiale, et non pas d’un cénacle de magistrats. Cette définition de la médiation devrait être focalisée sur la restauration de la relation, tant il est vrai que son « but n’est pas de résoudre des conflits mais de créer une relation qui permette ensuite de travailler ensemble », ainsi que l’a prôné Eric Blanchot[5]. Olivier Bernard[6] nous a d’ailleurs invités, lors de ses diverses interventions au fil de la journée, à considérer le médiateur comme un modérateur, un interprète dont la fonction essentielle réside dans la relation puisqu’il est « celui qui entend et comprend », et comme un guide « qui montre la voie ». Cette tâche, l’écriture d’un code de déontologie unique, est aussi fédératrice qu’exaltante, même si Jean Pierre Hervé[7] s’est quant à lui interrogé sur le point de savoir si des règles communes pourraient régir tout à la fois la pratique de la médiation dite généraliste et celle de la médiation de la consommation qui répond à un objectif économique de fluidification du marché. Pour concourir à la réalisation de cet objectif, l’idée se fait jour de la constitution de deux entités distinctes. D’une part, un observatoire de la médiation, tel que celui dont la Cour d’appel de Paris avait ambitionné la création avant d’y renoncer, comme l’a rappelé Fabrice Vert[8], et qui pourrait notamment recenser et diffuser les bonnes pratiques. D’autre part, un comité d’éthique qui aurait pour fonction de promouvoir les valeurs de la médiation et de réfléchir, de façon continue, à l’enrichissement du code puisque, comme l’a énoncé Jacques Faget lors de son intervention, la déontologie est « la boîte à outils de l’éthique ».
Pour ce qui est de la formation à la médiation, une opinion majoritaire se dégage selon laquelle les textes actuels manquent de clarté et n’offrent pas une garantie de qualité. Trois axes de réflexion se sont dessinés. Le premier, proposé par Philippe Charrier[9], vise à distinguer plus précisément, dans la pléthore de formations à la médiation, celles dont la finalité est de sensibiliser ceux qui les suivent aux atouts de ce processus, qui contribuent, par une forme de pollinisation[10], au développement d’une culture de la médiation, de celles qui sont destinées à acquérir une posture de médiateur, sur la qualité desquelles la communauté des médiateurs devrait se montrer très exigeante. Il est significatif que la recommandation selon laquelle l’exercice de la médiation devrait être conditionné au suivi de séances d’analyse de pratique dans une mesure d’au moins 10 heures par an ait été plébiscitée (89,15 %), et qu’une très forte majorité des participants (60,38 %) se soit prononcée pour la reconnaissance, par une instance représentative de la majorité des organisations de médiateurs, de la formation de base et des formations continues. Le deuxième axe de réflexion engage à considérer les formes que pourrait prendre un mentorat ou un compagnonnage. Par exemple la possibilité qui devrait être offerte à chacun en fin de formation, et corrélativement l’obligation, de participer à une véritable médiation, étape avant laquelle nul ne pourrait solliciter l’octroi d’un agrément. Autre exemple, le développement de la co-médiation, à laquelle Béatrice Brenneur[11] et Jean Pierre Vogel Braun[12] se sont tous deux déclarés attachés, signe d’une évolution du regard des magistrats sur cette pratique. Le développement de la co-médiation, parce qu’il permettrait à des médiateurs nouvellement formés de s’éprouver, et qu’il susciterait la confiance des prescripteurs en leurs capacités, serait de nature à instituer une certaine équité dans l’accès à la pratique, équité que nous avons appelée de nos vœux. Le troisième axe de réflexion réside dans le propos essentiel de Jacqueline Morineau[13] selon lequel, parce que la médiation est un chemin de vie, la formation du médiateur est une formation qui dure tout au long de la vie. Il convient de penser ce parcours en ayant à l’esprit que la médiation est, comme la communication, un « métier de la conversation », ainsi que l’a défini Benoît Desveaux[14], et que si le savoir-faire d’un médiateur se nourrit des techniques de communication, il est, a souligné Fabrice Vert, peu d’outils permettant de juger de cette aptitude.
Comme l’a rappelé Claude Amar[15] la médiation souffre d’un manque de notoriété. A ce manque de notoriété correspond un déficit de représentation. L’hypothèse de la création d’un ordre professionnel des médiateurs a été majoritairement rejetée (66,51 %), la rigidité de ce modèle présentant des inconvénients alors que, comme Eric Blanchot l’a exprimé, on gagne parfois, pour conserver sa liberté, à demeurer dans le flou. En contrepoint, Jean Pierre Hervé a rappelé que cette liberté doit s’exercer dans un cadre, ce dont tout médiateur est aisément convaincu. Quant à ce cadre, Philippe Charrier a vanté la nécessité d’une instance de représentation visible tant des médiateurs que du public, et exempte de toute influence de quelque lobby que ce soit. Cette instance de représentation pourrait être un Conseil national de la médiation, émanation de la communauté des médiateurs, dont les missions seraient multiples. Etre l’interlocuteur des pouvoirs publics, puisqu’une large majorité des participants (65,57 %) s’est prononcée pour qu’une structure représentative des médiateurs soit désormais associée à toutes les décisions relatives à l’évolution et au développement de la médiation. Etre une force de proposition et d’influence mobilisable par toute personne désirant œuvrer au développement de la pratique de la médiation. A titre d’exemple, Laurent des Brest[16], s’exprimant au nom du Groupement des sociétés de protection juridique, a imaginé qu’une telle structure puisse aider les assureurs à convaincre leurs assurés de s’engager dans cette voie amiable alors qu’ils y rechignent encore à ce jour, estimant qu’au regard des primes acquittées à leur profit, il incombe à leurs assureurs de « régler leur litige par le combat, et non par le débat ». D’autres missions sont encore à inventer.
En dressant le constat selon lequel « nous vivons dans des sociétés qui subissent la tyrannie de l’immédiat », Frédéric Petit[17], qui a contribué de façon déterminante à la réussite de ces Etats Généraux par son implication de la première heure, nous a assigné un objectif ambitieux : enrayer l’essor de cette tyrannie. Dans nos propos ouvrant ces Etats Généraux de la Médiation, nous exprimions notre volonté de contribuer à une banalisation de la médiation ; de faire en sorte que le recours à ce mode amiable devienne quelque chose de spontané, qu’il soit plus naturel, pour ceux qu’un désaccord oppose, de s’asseoir autour d’une table avec un médiateur que de saisir le Juge. Pour parvenir à cette fin, Lise Casaux Labrunée nous a, dans la synthèse à laquelle elle a procédé, proposé deux mots clés : « culture et confiance ». Les réflexions que les Etats Généraux de la Médiation nous ont permis d’engager sont de nature à ensemencer cette culture et cette confiance. Le livre blanc dont la publication sera la suite logique de cette journée en fera témoignage. Et déjà MEDIATION 21 s’engage dans de nouvelles actions aux fins d’accroître cette confiance et de populariser cette culture.
Gabrielle Planès, Bertrand Delcourt, co-présidents du comité d’organisation des Etats Généraux de la Médiation
[1] Professeur à l’Université de Toulouse Capitole, auteur de « Pour un droit du règlement amiable des différends » (LGDJ mai 2018)
[2] Anciennement Président de Renault et de la HALDE
[3] Médiateur, gérante de la Maison de la Communication
[4] Directeur de recherches au CNRS (Centre Emile Durkheim), médiateur.
[5] Directeur général de Promédiation
[6] Universitaire, consultant en techniques d’expression
[7] Médiateur du Groupe ENGIE, médiateur de la consommation
[8] Premier Vice-Président du Tribunal de grande instance de Créteil
[9] Chercheur associé au Centre Max Weber (CNRS – Université de Lyon)
[10] Pour reprendre le beau sujet traité lors d’une table ronde organisée lors des 8èmes Assises internationales de la médiation judiciaire du GEMME à Bordeaux, dont le thème était « développer une culture de la médiation »
[11] Présidente du GEMME (Groupement Européen des Magistrats pour la Médiation), anciennement médiatrice du Conseil de l’Europe
[12] Magistrat référent pour la médiation au Tribunal administratif de Strasbourg
[13] Fondatrice du CMFM, médiatrice, auteur de « L’esprit de médiation » (Eres – 1998) et « La médiation humaniste » (Eres – 2016)
[14] Conseil en communication, membre du directoire et Directeur général de Hopscotch Groupe
[15] Médiateur, Président de l’Académie de la médiation
[16] Président du GSPJ (Groupement des Sociétés de Protection Juridique)
[17] Député des français établis en Allemagne, en Europe centrale et aux Balkans
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