En finir avec le mythe du “super-héros”

En entreprise, des schémas mentaux impactants peuvent inciter les collaborateurs à repousser sans cesse leurs limites. Le mythe du “manager super-héros”, ancré dans les habitudes, devient alors générateur de souffrances et de burn out. Pour lutter contre ce fléau, l’entreprise se doit d’adopter une vision plus systémique pour faire évoluer les mentalités. Aux managers de mettre alors en place des actions concrètes et simples avec leurs équipes.

Certains salariés trop consciencieux, évoluant dans un milieu aux conditions dégradées ou simplement poussés par la soif de reconnaissance, acceptent, sans poser la moindre limite, de jouer ce jeu du “super-héros”. De même, certaines cultures d’entreprise, qui mettent la pression sur leurs collaborateurs dans l’intention d’augmenter la productivité, entretiennent sans le savoir de tels comportements. C’est ainsi que le burn out peut devenir systémique mais aussi culturel, car porté par des schémas mentaux, schémas à faire impérativement évoluer si l’on veut lutter contre ce fléau.

La posture de “super-héros”
Prenons la génération X pour qui le schéma mental lié au rapport au travail amène à se comporter en “vaillant petit soldat”. Ici, le sacrifice est de mise : on multipliera les heures supplémentaires, on négligera les pauses et journées de repos, on repoussera sans cesse ses limites afin de démontrer fièrement une capacité et un engagement hors du commun. Le mythe du “super-héros” favorise une posture héroïque, grisante parfois chez les managers (…et les salariés). Elle pousse au dépassement de soi et vise à s’élever au-dessus du commun des mortels.
Peut-être avons-nous été habitués à y voir un critère de sélection tacite pour les postes à responsabilités ? En jonglant avec de multiples obligations, en se focalisant sur des objectifs sans s’autoriser d’échec ou d’erreur, en paraissant insubmersible, le manager passe un test, voire un “crash test” quand le prix à payer se révèle, un jour, trop élevé. Ces schémas mentaux nous poussent à jouer avec nos limites, avec nos points de rupture, à nous placer inutilement en zone de danger.
Par ailleurs, un manager conforté dans son “mythe du super-héros” sera tenté de demander à ses équipes de repousser sans cesse leurs limites comme il s’y est lui-même efforcé. Ici, nous occultons notre vulnérabilité d’être humain comme si elle n’avait pas lieu d’être dans l’entreprise. Il faut dire que les places sont parfois chères et que l’individualisme et la compétition sont des réalités concrètes en entreprise.

Gare au burn out !
Or, le burn out systémique peut être considéré comme le symptôme d’un manque d’intelligence collective, c’est-à-dire d’un manque d’attention des collaborateurs entre eux. En effet, bien souvent, enfermé dans le déni, celui qui tombe malade est le dernier à s’en rendre compte.
Une entreprise responsable peut prévenir les burn out en favorisant chez ses employés une attention à l’autre et des initiatives au sein de l’équipe, afin de préserver toute personne en danger : revoir la répartition de la charge ou de la pression, etc. Un soutien collectif constitue le meilleur facteur de résilience. Pour cela, il est important de lever le tabou qui existe sur cette maladie contemporaine, d’en faire un sujet de préoccupation concret et quotidien.
Paradoxalement, en se désintéressant du burn out, une entreprise se détourne de ses salariés les plus engagés. En effet, le burn out touche bien souvent des personnes investies et consciencieuses, ce qui renforce le désengagement collectif. Même si certains salariés ne seront pas directement concernés, ils mettront en œuvre des mécanismes de défense pour se préserver : “Voilà ce qui arrive quand on travaille sans compter… L’entreprise l’a jeté comme un vulgaire mouchoir ! C’est de sa faute aussi. Ce n’est pas à moi que cela arriverait !” Évidemment, de tels mécanismes sont infructueux pour l’entreprise, et même coûteux en énergie, à même de faire naître un sentiment diffus de culpabilité pour n’avoir su aider un collègue tombé malade. Tout cela génère une perte de cohésion. Ainsi, en toute logique, le burn out, quand il est systémique, finit par affecter le climat de confiance au sein de l’entreprise. Il insécurise, puis impacte la performance globale.
Le burn out est un sujet qui met mal à l’aise en entreprise. On se rassure en renvoyant la personne touchée à ses propres responsabilités : “Rien ne l’obligeait à travailler autant… Il était fragile et avait des difficultés personnelles : l’entreprise n’est pas concernée…” Au lieu d’adopter un raisonnement systémique et global, la tentation est de rejeter la faute, de trouver un responsable face à la complexité du problème. Ce type de réaction occulte le problème et n’offre pas d’ouverture sur des solutions constructives. Nous ne sommes pas des robots. Il devrait être possible de dire plus souvent sans que cela soit considéré comme une faiblesse ou un échec : “Je n’y arrive plus, c’est trop difficile pour moi. J’ai besoin du soutien de mes managers et de mes pairs.”

Prévenir le burn out en entreprise
Pour les entreprises habituées à se concentrer avant tout sur des logiques rationnelles et analytiques, par quel bout prendre ce phénomène ? Comment le traiter ? Le burn out met l’entreprise au défi de se transformer et d’adopter une vision plus globale à laquelle elle n’est pas habituée. Ce changement culturel demande également l’intégration de la vulnérabilité humaine dans l’équation de la performance. Pour cela, l’entreprise sera amenée à favoriser une culture managériale centrée sur le collectif, sujet central de mon livre “Orchestrer l’intelligence collective”  (1), où je propose une démarche pragmatique et méthodologique pour accompagner ce changement constructif.
Sur le terrain, le “manager super-héros” est invité à sortir d’une pression de la productivité pour mieux tenir compte des manières de faire : à passer du “quoi” au “comment”. Cela nécessite évidemment que l’entreprise l’autorise à prendre de la hauteur, en lui donnant le temps nécessaire pour s’y consacrer, et même en l’évaluant par des objectifs associés. Donner des objectifs favorisant une attention collective et régulant une compétition trop forte est une manière concrète d’agir.
Enfin, au niveau de son équipe, le manager pourra aussi faire en sorte que le burn out ne soit plus un sujet tabou en favorisant l’attention à l’autre et l’esprit de partage, et en sachant identifier chez ses collaborateurs ceux dont l’empathie amène à être particulièrement vigilant sur la santé des autres. La capacité de ces personnes à contribuer au climat de confiance peut être reconnue comme un talent aussi nécessaire que celui de savoir produire. Enfin, il pourra considérer qu’un burn out au sein d’une équipe est un échec partagé. Le manager peut alors, dans une logique d’amélioration, favoriser un dialogue constructif. L’objectif est de permettre à l’équipe de mieux comprendre ce qu’il est arrivé et de se demander comment celle-ci pourrait être davantage soutenante à l’avenir.

Charlotte du PAYRAT

Consultante, formatrice et conférencière, spécialiste de l’intelligence collective, et également médiateure, Charlotte du Payrat accompagne les entreprises dans leur changement de culture managériale et collaborative et dans le coaching de leurs équipes.

(1) Orchestrer l’intelligence collective, Charlotte du Payrat, éd. Pearson, 2019, 232 p., 25 €.

Livre outil, cet ouvrage de référence a été distribué à déjà plus de 500 managers et DRH d’une dizaine d’entreprises du CAC 40 afin de favoriser le dialogue sur des sujets essentiels. Il a fait l’objet d’un article en mai 2021 dans Les Échos, “Comment bien orchestrer nos talents”, et en août 2021 dans Les Échos Entrepreneurs, “Créativité : osez une pensée disruptive !”

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