De l’image à la parole en médiation

Particulièrement utile lorsque les participants éprouvent des difficultés à mettre en mots leurs émotions, le Photolangage® fait office d’outil très puissant quand il est bien utilisé. Suivez le guide…

Nous sommes en 1965. Un groupe de psychologues lyonnais travaille avec des adolescents rencontrant des difficultés pour s’exprimer sur leurs expériences de vie souvent douloureuses. Ces psys ont l’intuition que les images peuvent servir de support à la parole : le  Photolangage® (1) est né.

Devant le succès de cette première expérience dans le domaine du soin, la méthode se voit   étendue à de nouveaux champs tels que l’éducation, la formation ou l’animation. Aujourd’hui, elle est de plus en plus utilisée par des médiateurs pour lesquels l’image, objet médiateur par excellence, est notre langage naturel, à mi-chemin entre la pensée et l’imaginaire, un langage doué d’un pouvoir divin ou diabolique, tantôt magique, tantôt inquiétant, toujours puissant.

Le rôle de l’image en médiation

La richesse du Photolangage® réside dans sa capacité à mobiliser chez l’individu ce que Claudine Vacheret appelle “la pensée en idées” ou pensée logique et, en même temps “la pensée en images” ou pensée analogique, qui enclenche des processus associatifs propres à chaque personne entre une image particulière et l’émotion qui l’accompagne.

Cette double polarité rend cette méthode si singulière : les images font jaillir une parole d’une profondeur inépuisable. Tandis que le récit implique toujours une progression logique, l’image produit un effet de simultanéité semblable à celui que provoquent les tableaux cubistes qui, en représentant plusieurs facettes d’un même sujet à partir de fragments isolés du monde visible, expriment une réalité totale. La pensée en images étant au plus près des processus inconscients, comme l’explique Sigmund Freud dans   Le moi et le ça (2) ,  l’individu accède à son monde imaginaire et peut donner corps à ses émotions. Lorsque les ressentis des personnes ne peuvent pas être saisis immédiatement, le Photolangage® propose un autre chemin, un médium servant d’interface entre le dedans et le dehors et permettant à l’émotion de s’exprimer médiatement.

Par ailleurs, l’image facilite la prise de conscience des représentations dont la personne est porteuse, en même temps qu’elle vient décaler l’individu de sa vision initiale en l’amenant parfois à relativiser sa propre vision. À partir d’une image, les personnes vont pouvoir se parler, se rencontrer, comprendre ce qu’il se joue pour chacune d’elles, faire entendre leur point de vue et, peut-être, ajuster leurs perceptions. En effet, chaque participant a  une perception différente d’une même image et les représentations de chacun sont empreintes de subjectivité. Aussi, le médiateur ne doit-il pas hésiter à favoriser l’expression de points de vue potentiellement différents, voire contradictoires, dans le but de produire du mouvement par rapport aux positions affichées au départ, de provoquer un changement, de transformer le conflit.

Enfin, le Photolangage® permet une prise de parole égalitaire entre personnes ne disposant pas forcément du même statut juridique ou social, ni des mêmes connaissances ou degré d’expertise, ni peut-être du même tempérament ou facilités d’expression. Devant une image qui invite à exprimer une émotion, un ressenti, une représentation, tous les participants se trouvent sur un pied d’égalité : la parole de chacun acquiert une valeur équivalente qui mérite d’être écoutée et entendue. Surtout, l’image permet à l’individu de se sentir autorisé à exprimer l’émotion qu’elle provoque. Il n’y a pas de bonne réponse, mais seulement un cheminement personnel que chacun peut partager dans la mesure de ce qu’il désire.

Déroulé d’une séance

Le médiateur dispose les images qu’il souhaite utiliser au cours de la séance de médiation, soit en les plaçant sur la table de réunion, soit en les affichant sur un mur. Les images doivent être agencées de manière suffisamment aérée et sans ordre préétabli. Le moment venu, le médiateur énonce la question qui va provoquer le choix d’une ou plusieurs images. Le choix se fait dans le silence, de manière à respecter la réflexion de tous les participants. Par ailleurs, il se fait du regard sans toucher aux images pour respecter le rythme de chacun et permettre à plusieurs personnes de choisir la même image, le cas échéant. Le médiateur invite alors les participants à prendre l’image qu’ils ont choisie. Si plusieurs participants ont sélectionné la même image, ils s’en saisiront à tour de rôle. Les participants présentent leur image lorsqu’ils le veulent, en partant de leur propre ressenti ou à partir de ce que quelqu’un d’autre vient d’exprimer.

Le médiateur lui-même choisit une image et participe à l’échange. Cela permet aux participants de mieux comprendre le but de ce travail, qui est avant tout un travail sur soi n’appelant pas de bonnes ou mauvaises réponses, mais impliquant simplement un cheminement personnel. L’objectif est de faire surgir des sentiments, des émotions qui ont été relégués dans l’ombre.

Le travail du médiateur consiste donc à poser des questions de clarification pour amener la personne à exprimer de façon suffisamment explicite et intelligible par les autres participants son choix d’image par rapport à la question posée. Par exemple, il est fréquent que les participants ne nomment pas clairement l’émotion, mais se lancent dans un exposé des données de l’affaire ou de leurs opinions. Le médiateur peut alors inviter la personne à revenir à son image. Il ne s’agit pas de faire parler les personnes dans le vide, mais de leur proposer de prendre la parole, après un temps de réflexion et de retour à soi, et toujours en rappelant la question initiale, plusieurs fois si nécessaire.

Lorsqu’il est bien conduit et que les personnes se prêtent au jeu, ce temps d’échange permet de renouer le dialogue autour d’une image, plus facilement qu’en abordant de front le conflit, mais aussi de développer l’observation et la qualité d’écoute.

L’outil peut être utilisé en ouverture de la séance plénière pour faire connaissance, amorcer l’échange ou tout simplement énoncer l’émotion qui se manifeste à cet instant. Des questions telles que “Comment vous sentez-vous face à cette médiation qui débute ? Quelle image représente le mieux l’émotion que vous éprouvez en ce moment même ? C’est comment pour vous d’être ici aujourd’hui ?” provoquent des réflexions très puissantes et permettent à chacun de prendre sa place dans le groupe. Le Photolangage® peut également être utilisé comme un outil de travail à part entière en cours de séance pour générer des idées ou décider ensemble.

Il peut encore être utilisé à l’issue de la réunion pour exprimer la façon dont l’échange a été vécu par les participants ou faire le bilan de la séance. Des questions telles que “Quelles sont les émotions que vous éprouvez au moment de nous quitter ? Quelle image traduit le mieux ce que cette séance vous a appris sur votre relation ?” permettent aux personnes de se quitter dans des conditions apaisées, mais aussi de prolonger la réflexion après la séance de médiation.

Dans un contexte de médiation, cette méthode peut être utilisée de manière efficace jusqu’à dix participants, sans qu’il n’y ait de minimum requis.

Le choix des images

Les images sont choisies pour leur capacité à évoquer les différents thèmes que souhaite aborder le médiateur, pour leur puissance suggestive ou leur valeur symbolique. Elles doivent à la fois faire voir et faire penser.

Le médiateur peut  constituer ses propres dossiers à partir d’images qu’il estime adaptées au travail qu’il veut réaliser avec les participants. Par exemple, les illustrations Dixit (3) emmènent les participants dans un monde onirique servant d’inspiration pour de belles envolées poétiques. Le photo-surréalisme d’Erik Johansson (4) donne aussi à voir des images qui oscillent entre jour et nuit, réalité et fantaisie, éveil et inconscient. Des séries de photographies sur différents thèmes comme les chemins que l’on parcourt, les portes que l’on souhaiterait franchir ou les arbres auxquels l’on peut facilement s’identifier donnent lieu de la même façon à des observations et des pensées très riches et originales. Le médiateur peut aussi utiliser des images abstraites ou des peintures d’art brut qui laissent libre cours à l’imagination.

Elsa Costa

Ancienne magistrate, Elsa Costa est médiateure spécialisée dans les litiges publics et formée aux techniques de créativité.

 (1) Photolangage® est une marque déposée, seuls les dossiers photographiques validés par les ayants droit peuvent recevoir cette appellation. Depuis 1968, des dossiers contenant une cinquantaine de photographies regroupées par thèmes sont publiés régulièrement. Photolangage® : une méthode pour communiquer en groupe par la photo, Alain Baptiste, Claire Bélisle, Jean-Marie Péchenart et Claudine Vacheret, les Éditions d’organisation, 1991.

 (2) Le moi et le ça, Sigmund Freud, éd. Payot, coll. Petite Bibliothèque Payot, 128 p.

 (3) Dixit est  un jeu de société créé en 2008 par Jean-Louis Roubira et illustré par Marie CardouatRégis Bonnessée a participé à sa création et sa société Libellud édite le jeu. En mars 2010 est sortie la première extension du jeu qui propose 84 cartes supplémentaires. (Source : Wikipédia)

(4) Erik Johansson est un artiste, photographe suédois qui se démarque par son approche    surréaliste. https://en.wikipedia.org/wiki/Erik_Johansson_(artist)

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