Quel genre de médiateur.trice êtes-vous ?

A l’heure où les tribunaux ne parviennent pas à rendre leurs décisions dans un temps raisonnable et où le législateur fait une part de plus en plus belle (en dépit de certains obstacles [1]) aux procédures amiables [2] (les « MARD » [3], parfois appelées « MARC » ou « MARL » pour Conflit ou Litige), essayons de nous interroger sur les raisons qui nous amènent à la médiation et à se former à un tel processus.

C’est donc une introspection du médiateur qui est ici proposée après avoir rappelé les obligations de formation propres à une « activité » de médiation et/ou à la « profession » de médiateur. Article paru le 17 mars 2021 dans https://www.village-justice.com 

I – La(les) formation(s).

Pouvons-nous d’ailleurs parler d’une « profession » ? Le Syndicat professionnel des Médiateurs (SYME) [4] créé en 2017 œuvre pour que la médiation devienne un métier et que les médiateurs ayant acquis « compétences, déontologie, savoir-faire et savoir-être » passent de ce métier à une véritable profession, reconnue et respectée. La Compagnie des Médiateurs de Justice (CMJ) [5] de son côté qui reconnaît à ce jour plus de 4 000 personnes formées à la médiation milite également pour que soit créé un véritable « statut professionnel » [6] de ces derniers.

Mais cette « professionnalisation » des différentes catégories de médiateurs prônée par le SYME et la CMJ est aussi rejetée par la FFCM [7] qui ne s’y retrouve pas. Elle est venue par un communiqué à l’été 2020 marquer son désaccord en quittant le « Collectif Médiation 21 » [8] sur la base de griefs précis (nul besoin pour elle, notamment, d’un organe national représentatif comme un observatoire national de la médiation).

Quoiqu’il en soit, professionnalisation ou non (il existe actuellement un projet de donner force exécutoire aux accord de médiation par un visa du greffe de la juridiction compétente), ce sont bien les qualités d’indépendance, d’impartialité, de neutralité et de confidentialité qui animent les médiateurs, des valeurs sous-jacentes dès les premières dispositions législatives de 1995 [9] sur la médiation, et largement développées et améliorées depuis par de nombreux textes sur la médiation conventionnelle et judiciaire en toutes matières.

C’est en effet une très bonne chose que de développer la médiation par la loi et comme « le procès traite le passé et la médiation s’occupe de l’avenir » [10] , il faut bien reconnaître que les médiateurs doivent se former et il faut dire que l’offre est aujourd’hui plutôt abondante.

Plusieurs universités françaises (Paris, Lille, Lyon, Aix-Marseille, Savoie Mont-Blanc etc) proposent des formations « diplômantes » (DU, CU) de plus de 200h sur une période longue ou continue, tandis que les centres de médiation proposent de leur côté des parcours « certifiants » sanctionnés par des attestations après avoir suivi des modules de courtes durées ou d’une quarantaine d’heures par exemple de formation initiale ou de base, pouvant même aller jusqu’à une formation in fine« diplômante » dans le cadre d’un partenariat passé avec une Université.

Certaines institutions ordinales comme le CNMA [11] requiert pour les avocats une formation également de 200 heures, entre théorie et pratique, pour être référencé sur le site du Conseil National des Barreaux.

Mais après s’être formé, comment se sent le médiateur ?

II – Une introspection nécessaire.

Demandez à un(e) médiateur(trice) pourquoi s’est-il(elle) investi(e) dans une formation à la médiation ? Pourquoi s’est-il(elle) formé(é) ? Pourquoi cherche-t-il(elle) à mener un processus et régler un conflit qui n’est pas le sien ? certains en ont une idée précise, d’autres moins ou ne se sont peut-être pas encore interrogés.

Il ne fait pas de doute qu’un certain humanisme anime tous les médiateurs cherchant la paix pour / entre les parties en conflit. A ce stade, évoquons Bouddha, pour qui apporter la paix au monde c’est d’abord apprendre soi-même à vivre en paix.

Nous voilà donc au cœur du sujet : faut-il se sentir soi-même en paix pour pouvoir souhaiter la paix pour l’autre et le règlement de son conflit ? faut-il même d’ailleurs souhaiter d’une façon plus générale en tant que médiateur le règlement d’un conflit ?

Mener une médiation, c’est tout d’abord entrer en résonance avec soi-même, et peut-être d’une certaine manière se laisser guider par l’une des neuf forces de l’Ennéagramme [12].

Alors, quel genre de médiateur(trice) êtes-vous ? de type « interventionniste » ou de type « chef d’orchestre » [13], plongeons-nous un instant dans l’univers de nos motivations (notre « empreinte » dès les premiers mois de la vie pour certains biologistes) et non pas seulement de nos émotions [14].

La question est donc celle de la relation que le médiateur instaure de manière consciente ou non avec les médiés, en fonction de son style, de son approche au monde, de ses questionnements aux autres, à l’aide et sans le savoir parfois de ses propres motivations.

Êtes-vous de style : 
(1) « attentif et rigoureux » aux détails du discours des médiés pour arriver à la meilleur solution possible du conflit ? ; 
(2) « empathique et aidant », menant la médiation avec générosité ? ; 
(3) « battant » vous fixant peut-être l’objectif de réussir la médiation ? ; 
(4) « créatif » cherchant des propositions originales, différentes et nouvelles ; 
(5) « réfléchi » à l’écoute du récit des médiés, mettant à profit votre besoin de réflexion en tant que tiers indépendant ; 
(6) le plus « loyal » possible dans la façon de mener le processus ; 
(7) « arrangeant » dans une démarche d’optimisme du conflit ; 
(8) « interventionniste » tendant plutôt vers la négociation afin de parvenir à une solution [15] juste et équilibrée ; 
(9) « Chef d’orchestre », avec un sentiment de détachement du conflit mais attentif et au soutien des points de vue de chacun des médiés ?

Le médiateur, un tiers indépendant clairement talentueux, ne manquera pas en réalité de mener sa médiation avec l’aide de l’une de ces 9 motivations dominantes de l’Ennéagramme qui lui est propre.

Il sera donc animé par l’une seule de ces forces, « bases » ou « types », dominante, relevant d’une intelligence instinctive, émotionnelle ou mentale. La manière de mener le processus peut s’en ressentir.

Il ne s’agit pas de traits de caractères mais d’une simple posture naturelle qui lui appartient et qui s’impose en réalité sans détour à lui.

Et c’est bien parce qu’il ne faut pas confondre la carte et le territoire, et que ce n’est pas parce que le plan de Paris tient sur une feuille que l’on ne peut pas se perdre dans la ville … que le médiateur, après s’être formé, doit bien se connaître [16].

Et même si vous utilisez l’application « Solo Brainstorming » sur votre téléphone portable (gratuite et assez efficace) pour vous permettre de trouver des idées de résolutions aux situations difficiles ou aux conflits, il restera toujours la question fondamentale de rechercher et connaître les véritables motivations qui sont celles du médiateur face à un conflit qui n’est pas le sien.

Voilà une interrogation pour toujours d’actualité parce qu’essentiellement humaine en parallèle des nombreuses évolutions législatives et réglementaires qu’il faut bien reconnaître comme bienvenues au développement des MARD.

Xavier Langlois-Berthelot
Avocat – Médiateur Judiciaire


[1Pourquoi la médiation en entreprises n’est-elle pas plus populaire ?
[2] Entretien avec François Rolland, « Le procès c’est forcément un perdant et un gagnant, ce que vise la conférence de règlement à l’amiable, ce sont deux gagnants ! » Négociation 2017/2 (n°28), p.151-157.DOI 10.3917/neg.028.0151.
[3] « Le juge tranche, le médiateur dénoue », Interview croisée, Journal du Barreau de Marseille, Dossier MARD, 1er semestre 2020, p.45.
[4] Syndicat professionnel des médiateurs regroupant plus de 200 membres.
[5] Compagnie des médiateurs de Justice, association.1901, créée en mai 2019 à Toulouse.
[6] Décret n°2017-1457 du 9/10/2017 instaurant des listes de médiateurs auprès de chaque Cour d’appel (au nombre de 39) pour une durée de trois ans, reconductible.
[7] Fédération Française des Centres de Médiation, créée en 2001, regroupant plus de mille médiateurs et fédérant plus de 70 centres de médiation.
[8] Collectif Médiation 21, créé en 2016, qui est à l’initiative du Livre blanc de la médiation.
[9] Loi n°95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
[10] Gérard Kuyper, avocat à Bruxelles, www.beMediation.eu
[11] Centre National de Médiation des Avocats, émanation du CNB, créé en 2013.
[12] Renée de Lassus, « l’Ennéagramme, les 9 types de personnalités », Ed. Marabout, 2013.
[13] Jean Poitras, PhD, « Quel est votre style de médiateur ? », Professeur HEC Montréal, Revues Stratégies, 29 avril 2019.
[14] Ilios Kotsou, « Désobéir à la tyrannie des émotions« , Intelligence émotionnelle, Ed. Jouvence, Juin 2019 ; Georges Vigarello, « Histoire des émotions », 3 vol. Ed. Seuil.
[15] Notamment via des « caucus » (’apartés’ avec le médiateur) extrêmement développés au Québec notamment dans les médiations dites résolutives ou évaluatives ayant pour but de résoudre le litige et non le conflit.
[16] Olivia Varin-Bernier, « Grandir avec l’Ennéagramme », Ed. Eyrolles, février 2020.

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