Des conflits bien gérés : une plus-value pour l’entreprise
par Parole de Médiateurs · 24 septembre 2021
Avec la crise sanitaire, émergent moult conflits au sein des organisations. Les problématiques que cela engendre sont la première source de souffrance au travail. Éclairage sur ces conflits et leur gestion.
Sur un échantillon de 5000 salariés interrogés (1) dans neufs pays européens, 85 % ont confié être ou avoir été confrontés à des différends sur leur lieu de travail. Toutes les personnes qui font ou ont fait partie d’une entreprise connaissent bien les ravages occasionnés par ces conflits : stress, situations de mal-être, démotivation, absentéisme… Par ailleurs, les conséquences en termes de coût pour l’entreprise sont loin d’être négligeables, car le bien-être des collaborateurs influence clairement les chiffres d’affaires des organisations. Il peut s’agir de conflits interpersonnels qui empêchent deux personnes et /ou un collectif de travailler ensemble. Mais ce sera toujours une relation rompue qui peut, si elle n’est pas traitée, provoquer un dysfonctionnement global de l’entreprise.
La nécessité d’accepter le conflit
Vivre et travailler ensemble, c’est accepter le risque de conflit. Les désaccords ont toujours existé dans les entreprises ! Ce qui a changé, c’est le contexte : l’augmentation de la charge de travail, du niveau d’exigence des clients, les enjeux de réactivité. La pression ressentie peut être à l’origine de tensions au sein d’une organisation. À l’heure actuelle, Il est demandé aux collaborateurs plus d’autonomie et d’agilité. Les managers doivent réguler les dissensions de leurs équipes. La qualité du travail, les performances, les relations, la santé parfois en pâtissent. Et les conséquences peuvent s’avérer lourdes. Et pourtant, le différend peut avoir une vraie utilité pour faire avancer les convictions et les idées de chacun.
C’est la raison pour laquelle, gérer les risques psychosociaux en supprimant le conflit est un non-sens. Le conflit est un élément sain pour la vie d’une organisation. Il est inhérent aux relations humaines et à l’intelligence collective. Il est donc important de s’en saisir afin qu’il se transforme en opportunité permettant à l’entreprise de progresser.
Comment le gérer ?
Le problème n’est pas l’apparition du conflit, mais bien la manière dont il va être géré. Des tensions sous-jacentes, non formulées et non résolues peuvent déclencher une escalade des relations et transformer le conflit de base non traité en un litige qui peut ne rien à voir à faire avec le problème d’origine.
Si le désaccord n’est pas résolu, les deux personnes vont chacune avoir tendance à vouloir imposer leur vision : le dialogue rompu se transforme en agressions verbales et tentatives d’isoler l’autre. Cette situation conduit souvent à une confrontation destructrice, et peut même mener à de la violence physique.
Le bilan peut se révéler lourd de conséquences pour les individus concernés, mais aussi pour l’entreprise : les salariés se démotivent, le climat social se tend, le taux d’absentéisme augmente, le bien-être des salariés se dégrade et la performance de l’entreprise n’est plus au rendez-vous. Il est alors vital pour l’entreprise d’appréhender le conflit avec un autre regard pour l’intégrer dans un cercle vertueux.
Si le conflit comporte une potentielle opportunité de changement, il n’est pas question de le supprimer, mais plutôt de le questionner et de s’en saisir afin de s’orienter vers une remise en question plus productive.
Le conflit est indispensable à l’entreprise, pour autant qu’il soit bien géré ! La zone grise dans laquelle il survient est la preuve que quelque chose n’a pas été anticipé, prévu ou cadré dans l’entreprise où il se déroule. En l’éclairant et en le résolvant, il peut être créateur d’une valeur nouvelle et source de davantage de qualité de vie et des conditions de travail et de performance collective.
Comment le résoudre ?
Un conflit répond toujours à un vide laissé involontairement par l’organisation, en termes de processus, de gestion de projet ou de management. Lorsque l’on se retrouve au cœur d’un conflit, il arrive qu’on prenne le parti de tenter d’améliorer la situation et, en toute bonne volonté, de vouloir mettre fin au conflit en imposant son point de vue. Contre toute attente, cela attire résistance, défense, attaque en retour et amplification du conflit… Toujours plein de bonne volonté et en voulant œuvrer avec pédagogie, on explique ce qu’il faut faire mais souvent sans succès, car on n’a eu ni l’occasion ni l’envie de s’intéresser vraiment au fond et aux motivations de l’autre.
Si l’on veut traiter le conflit comme il se doit, il est important de ne pas en faire une affaire personnelle, d’accuser réception que quelque chose ne va pas et de questionner l’autre, qui a sûrement besoin d’exprimer ce qui le préoccupe et de signifier ses besoins. Adopter la bonne méthode permettra de prévenir, voire de solutionner un conflit, avant qu’il ne dégénère en crise.
Si le différend est pris à temps, la médiation peut s’avérer un outil innovant et préventif sur la résurgence de conflits plus profonds. Elle permet l’amélioration du dialogue des salariés et anticipe les difficultés liées à des souffrances relationnelles. La médiation a également un aspect curatif, elle permet de sortir de conflits déclarés, de renouer des liens et de revenir à une situation normale de dialogue.
(1) étude OPP, cabinet spécialisé dans les tests psychométriques.
Ce que dit la loi
Selon la loi, “L’employeur doit veiller à la santé et à la sécurité de ses travailleurs en mettant en place des actions de prévention, d’information et de formation. Il doit également évaluer les risques professionnels sur chaque poste de travail. Ces risques sont consignés dans un document. En cas de non-respect de cette obligation, sa responsabilité civile et/ou pénale peut être engagée. ” (2)
L’obligation générale de sécurité de l’employeur lui impose donc de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs et d’évaluer les risques avec :
- des actions de prévention et une évaluation des risques professionnels ;
- des actions de formations et d’information ;
- la mise en place d’une organisation et des moyens adaptés et adapter ses mesures pour :
1) tenir compte du changement des circonstances ;
2) tendre à l’amélioration des situations existantes.
(2) Selon les articles L4121-1 et L4121-2, modifiés par la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 – art. 5 du Code du travail. [Source : Légifrance.gouv.fr]
L’avis de l’expert
Nous avons demandé à Jean-Marc Bret, ancien avocat spécialisé en droit du travail et aujourd’hui médiateur et formateur, son avis de spécialiste sur la question.
Je ne cherche pas un résultat. Je cherche juste à être en connexion avec l’homme ou la femme que je vais avoir en face de moi. Donc j’ai du pouvoir “avec” et pas du pouvoir “sur”. Et ça, ça me semble être vraiment ce qu’il y a de plus précieux dans la médiation. C’est en cela finalement que la médiation s’avère un outil innovant. Mais là, on ne parle pas de médiation pure, mais plutôt de posture de la médiation : cette écoute empathique que je vais avoir avec les médians.
Il me semble qu’en basculant d’une obligation de sécurité de résultat à une obligation de moyens renforcée, la jurisprudence permet d’une certaine façon de valoriser le chef d’entreprise qui prend ses responsabilités et qui essaie de faire du mieux qu’il peut en mettant en place des formations à la médiation, en développant la culture de la médiation et en faisant figurer la médiation dans le document unique (3).
Cela fait partie des choses que l’employeur met en place pour prévenir et gérer les risques psychosociaux et du coup, tout prend son sens.
Propos recueillis par Caroline Samit
(3) L’employeur doit établir le document unique d’évaluation des risques professionnels (DUER) qui évalue les risques de santé et sécurité.
Caroline Samit est médiateure assermentée à la cour d’appel de Rouen. Co-gérante d’un cabinet de prévention des RPS et de la QVTC. Fondatrice du CFAM (collectif au service de la médiation).
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